Le management interculturel, nouveau défi de la mondialisation

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C’est devenu une évidence : le monde des affaires ne connaît plus de frontières. Et pour se développer, une entreprise doit partir à la conquête de marchés étrangers. Cette mondialisation de la finance, de l’économie et des échanges n’a pourtant pas effacé les différences culturelles. Et plus d’une entreprise a payé cher de les avoir sous-estimées. « J’ai vu des projets de plusieurs millions d’euros au point mort parce qu’Indiens et Français ne voulaient plus se parler », témoigne Ashok Patrick Pakiam, consultant et formateur interculturel. Les problématiques des entreprises devant apprendre à gérer les différences culturelles au sein de leurs équipes sont certes variées. Telle société peut chercher à se développer sur un marché étranger en établissant un partenariat avec une entreprise locale. Telle autre peut choisir d’y créer une filiale ou souhaiter que celle-ci soit dirigée par un expatrié. « Quel que soit le cas, connaître son produit ne suffit pas pour réussir, prévient Michel Leray, directeur général d’Europacific Management. Il faut connaître le terrain. Si les grands groupes commencent à être conscients de la nécessité d’acclimater et de former les gens, les PME se lancent trop souvent sans y être préparées. » Autre possibilité tout aussi courante : deux sociétés de nationalités différentes peuvent être amenées à fusionner leurs activités. « Elles réunissent alors deux cultures nationales, mais aussi deux cultures d’entreprise », souligne Patricia Lane, consultante en relations interculturelles et rédactrice-traductrice en anglais.

 

Des différences évidentes
Attribuer aux relations interculturelles des problèmes de gouvernance est d’ailleurs une erreur commune. EADS l’a en partie commise. Même si des différences de cultures professionnelles entre ingénieurs français et allemands ont encore compliqué la donne. En témoigne cette plaisanterie : « lorsque les Allemands doivent construire un hélicoptère, ils mettent un boulon, puis un boulon, puis un boulon, jusqu’à ce qu’au final, ils obtiennent un hélicoptère ; les Français, eux, ont d’abord l’idée de l’hélicoptère, et tout le monde se demande comment ils vont faire pour la réaliser. » Ajoutez à ces multiples difficultés, celles liées à l’utilisation d’une langue tierce pour communiquer… Vous commencerez à comprendre l’étendue des obstacles qu’une entreprise doit surmonter pour se développer à l’étranger. « L’anglais est devenu la langue véhiculaire dans bon nombre d’entreprises à travers le monde, observe Marie Meriaud-Brischoux, directrice générale de l’Institut de management et de communication interculturels. Mais, même s’ils se parlent en anglais, un Français, un Allemand et un Chinois continuent à parler des langues différentes. Chacun doit connaître un peu de la culture de l’autre pour pouvoir se comprendre. » Alors, comment aborder une culture différente ? Par où commencer ? Les modes de pensée, tout d’abord, peuvent fortement diverger. Les cultures asiatiques, très centrées sur le graphisme, sont ainsi peu sensibles aux concepts. « Au Japon, un croquis vaut souvent mieux qu’un long discours, souligne Michel Leray. Car transmettre son savoir, ce n’est pas expliquer pourquoi, c’est montrer comment. »

 

Directrice de la Fondation Renault, structure créée à la signature de l’alliance entre Renault et Nissan en 2001 qui sponsorise un MBA ainsi que la toute nouvelle chaire Renault-Polytechnique-HEC sur le management multiculturel, Claire Martin le confirme : « Comme souvent les Occidentaux, les Français réfléchissent de manière très abstraite, alors que les Japonais sont très pratiques. Ils sont très axés sur les processus, ont le sens du détail et la capacité à délivrer des produits de très grande qualité du premier coup. » Des différences majeures entre cultures s’observent également dans leur rapport au temps. Certains peuples sont plutôt monochroniques. C’est le cas des Américains, qui aiment se concentrer sur un chantier avant de passer au suivant. D’autres sont plus polychroniques, faisant volontiers plusieurs choses à la fois. « Un Indien ne verra pas d’inconvénient à répondre au téléphone à sa belle-mère pendant une réunion », indique en guise d’exemple Ashok Patrick Pakiam. Le rapport à l’avenir et la gestion de l’incertitude sont eux aussi très variable. « Pour un Américain, un changement est une opportunité; pour un Français, c’est une source d’inquiétude et de méfiance ; un Chinois s’y adapte », résume Annie Cattan. Autre grande différence : l’importance accordée à l’individu. « En Chine, la personne se définit par rapport au groupe qui lui apporte identité et sécurité, explique Annie Cattan. Européens et Américains sont beaucoup plus individualistes. » Du coup, il est assez courant de faire des activités ou de partir en week-end avec des collègues de travail en Chine. « Les processus de décision sont en outre plus lents, du fait que les Chinois déterminent leurs choix en groupe », observe Philippe Weiss.

 

Des solutions pour éviter les impairs
Nul ne saurait cependant connaître toutes les cultures, quels que soient les efforts qu’il fournisse. « Même si vous apprenez les “ do & don’t ”, vous ne saurez jamais tout », confirme Annie Cattan. Premier conseil donc pour aborder un pays étranger : prendre conscience de sa propre culture. Il s’agit d’éviter les projections et réaliser que tout le monde ne pense pas comme soi. Mieux vaut adopter une attitude d’ouverture et d’humilité. Se mettre en position d’observation et éviter les jugements. C’est d’autant plus prudent que le diable se cache dans les détails. « Les Chinois serrent la main de quelqu’un lorsqu’ils ne l’ont pas vu depuis longtemps, raconte Annie Cattan. Si vous serrez la main à un Chinois que vous avez vu la veille, il risque de penser que vous avez oublié qui il est. » Un impair susceptible de lui faire perdre la face. Difficile à rattraper. Deuxième conseil sous forme d’avertissement si vous êtes amené à prendre en charge une équipe multiculturelle à distance : attendez-vous à voir votre rôle de manager changer radicalement. « Faire collaborer des équipes de cultures différentes est dans un premier temps très chronophage, témoigne Claire Martin. Il faut observer les processus des uns et des autres pour comprendre comment ils parviennent aux solutions qui sont les leurs. Il faut aussi se mettre d’accord sur tout, y compris des questions de vocabulaire. Deux personnes qui ont le même titre n’ont pas forcément les mêmes fonctions en France et au Japon. » Et Patricia Lane de recommander : « Un manager appelé à gérer une équipe répartie sur plusieurs pays doit dès le départ en rencontrer tous les membres. »

 

Organiser cette première rencontre sous la forme d’une session de team building peut s’avérer utile. « Dans un e-mail, 100 % du sens est porté par les mots. Dans une conversation en face à face, la proportion n’est que de 13 %. D’où l’importance de se rencontrer pour les futurs collègues de travail. Il sera plus facile, par la suite, de lire entre les lignes et de comprendre si tel ou tel fait de l’humour, s’il est en colère, ou tout simplement de dire “ je n’ai pas bien compris.” » Cette session peut être l’occasion pour la nouvelle équipe de définir ensemble des règles de conduite. Exemples : à quelle fréquence les vidéoconférences sont-elles organisées ? Comment décide-t-on de la date et de l’heure pour éviter que le même individu soit toujours obligé de se lever à 5 heures ? Une fois ces règles établies, l’apprentissage sera mutuel, mais l’effort constant, surtout pour le manager. « Le manager d’une équipe multicuturelle se doit d’être plus accessible qu’un manager d’équipe locale. C’est à lui qu’il revient de gérer les questions, voire les éventuels conflits qui ne peuvent manquer d’émerger. À lui aussi de définir et de promouvoir les valeurs constitutives de la culture que l’équipe doit développer pour avancer. » Dernier conseil : apprenez quelques mots de la langue du pays auquel vous avez affaire. Cela peut paraître évident, mais c’est loin d’être un réflexe chez tous les managers amenés à gérer une équipe à distance ou même à s’expatrier. Vos efforts n’en seront que plus remarqués.

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