Le Japon atténue ses contraintes administratives

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« On dit souvent que lorsqu’on a réussi sur le marché japonais, on peut attaquer n’importe quel marché dans le monde. C’est une réalité. » Le constat de Guillaume Desurmont, directeur général du pôle polymères techniques d’Arkema pour la région Asie-Pacifique, illustre le degré d’exigences particulièrement élevé auquel sont confrontées les entreprises européennes qui s’aventurent en terre nipponne. Cette société française de chimie est largement tournée vers l’international, puisqu’elle réalise 80 % de son chiffre d’affaires au-delà des frontières de l’Hexagone. Pour autant, son activité au Japon représente un défi permanent. « Il faut toutefois préciser que ce même degré d’exigences est aussi un véritable moteur national et explique en grande partie bon nombre de réussites d’entrepreneurs locaux », relativise-t-il.

 

L’aventure Arkema dans l’archipel nippon a commencé en 1974. Dans les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, le pays a fortement accéléré sa croissance. « Il représentait un eldorado pour de nombreuses entreprises. Arkema a profité de cette dynamique. Nous étions déjà fortement présents sur les marchés automobiles en Europe en tant que fournisseur. L’essor des marques Honda, Toyota et Nissan a donc été un argument fort dans la décision de s’implanter au Japon. Aujourd’hui, en plus d’être un acteur important, par exemple sur le segment des batteries automobiles, nous sommes également un fournisseur de référence en produits plastiques pour les producteurs de panneaux solaires », décrit Guillaume Desurmont. Au début des années 1990, l’entreprise a installé un centre technique dans le pays afin de devenir une véritable société japonaise à part entière et ainsi mieux répondre à la demande locale. « Il était également intéressant pour nous d’accompagner l’évolution des sociétés technologiques japonaises, qui ont rapidement été à la pointe dans leur domaine », poursuit-il. À l’heure actuelle, ces entreprises sont toujours les acteurs les plus innovants. Arkema commercialise de nombreux matériaux utilisés par les productions des sociétés du secteur électronique. Le groupe français a notamment pu utiliser des produits du marché hexagonal pour les adapter localement.

 

Le centre UE-Japon pour la coopération industrielle a également sa part de responsabilité dans le succès d’Arkema au Japon. « J’ai suivi une formation, il y a quelques années, au sein du centre sur les fusions acquisitions. Nous avons pu conclure plusieurs joint-ventures au fil du temps avec des entreprises japonaises, comme avec le groupe Daikin, le plus grand producteur mondial d’air conditionné. Ces formations sont intéressantes, car très ciblées. Les ingénieurs basés en Europe peuvent ainsi prendre conscience de la situation concrète du marché japonais », témoigne Guillaume Desurmont.

 

Mais l’aventure sur les terres nipponnes est loin de se résumer à une success story. Le poids de la réglementation refroidit souvent les enthousiasmes. « Les dirigeants étrangers présents dans l’archipel répètent souvent une anecdote relative aux fleurs coupées en provenance d’Europe. Par le passé, celles-ci devaient rester en quarantaine pendant 7 jours à l’aéroport de Tokyo avant d’être distribuées sur le marché local. Autant dire qu’il était impossible d’importer ce type de produits. Avec le lobbying européen, le délai d’attente à l’aéroport a diminué, et est aujourd’hui abaissé à quelques heures », indique Guillaume Desurmont.

 

Il existe une multitude d’écueils réglementaires de ce type dans de nombreux secteurs, qui peuvent rendre les affaires très complexes. « Nous venons d’introduire une nouvelle gamme de produits en Asie. En Chine, son coût est nul. En Corée, nous avons des frais de spécifications de 1 000 euros. Au Japon, les frais de tests pour entrer sur le marché sont astronomiques. Ils atteignent 250 000 euros », reprend le directeur. En conséquence, tant que des ventes ne sont pas garanties, Arkema a décidé de ne pas importer les produits concernés. Par le poids des contraintes, le pays se coupe d’innovations qui pourraient remplacer des produits existants à moindre coût. L’entreprise Arkema doit par ailleurs faire analyser certains produits importés par des laboratoires de recherche privés qui appartiennent à des sociétés concurrentes. Des obligations qui peuvent avoir des conséquences terribles : « Dans les années 1990, nous avions développé une technologie qui a ainsi été copiée par une entreprise japonaise devenue par la suite leader mondial sur le marché en question », confie Guillaume Desurmont. L’industrie chimique et pharmaceutique délaisse de plus en plus le marché nippon en raison des exigences réglementaires. Pfizer a cessé de tenter de faire importer certains médicaments pour les faire homologuer. Le directeur précise que « la population japonaise n’arrive pas à avoir accès à certains vaccins existants en Europe et aux États-Unis pour des maladies qui sévissent au Japon. La bureaucratie est particulièrement lourde dans ce pays et constitue le principal frein au développement économique. »

 

Le contexte rebute de nombreuses entreprises qui ont l’idée de s’installer dans l’archipel nippon. Les deux principaux concurrents européens d’Arkema ne sont pas présents alors que ce sont des sociétés de plus grande envergure. Pour Guillaume Desurmont, « ce protectionnisme est un danger. En voulant se protéger et conserver leur compétitivité, les Japonais récoltent l’effet inverse. Ils ne disposent pas de nouvelles technologies dans les matières plastiques en provenance d’Europe. Il y a des catégories entières de produits non commercialisées au Japon alors que la demande existe. Mais les contraintes réglementaires coûteuses en temps et en argent rendent les entreprises réticentes. »

 

La catastrophe de mars dernier a suscité des prises de conscience quant à la nécessité de se tourner vers les autres pays. « Bon nombre d’entreprises comme nous ont subi les conséquences indirectes de ce drame. Après le séisme, nos clients ont augmenté leurs stocks, si bien que le marché s’est rapidement tendu au niveau de l’approvisionnement en matières premières. Ensuite, étant donné que les stocks étaient pleins, les commandes ont baissé et nos ventes également », raconte Guillaume Desurmont. Mais au-delà de l’impact économique, « le caractère précieux de l’aide et de l’approvisionnement en provenance de l’étranger a été pointé du doigt, ce qui va dans le sens d’une volonté déjà affichée précédemment de s’ouvrir davantage au monde. »

 

Dans certains marchés comme l’électronique, les chiffres d’affaires ont chuté de 50 % en moins de 3 mois. Mais le redressement est rapide. La grande crainte de ne pas avoir assez d’électricité pour les productions au cours de l’été ne s’est finalement pas vérifiée. « Les stocks constitués ont été suffisants et bon nombre d’acteurs s’attendent à une reprise forte dès le mois de septembre. Les carnets de commandes se remplissent, car la demande de produits finis est forte à l’export aux États-Unis, en Amérique du sud, en Chine et en Europe. 2010 a été une année exceptionnelle pour nous. En 2011, nous serons en croissance par rapport à l’an passé », poursuit-il. Un contexte de redressement économique qui permet au Japon de se projeter dès maintenant dans l’avenir à plus long terme.

 

Le désir de changement en matière d’ouverture économique se transforme peu à peu en nécessité. Avec la Corée, qui vient de signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne, l’archipel nippon a une pression supplémentaire sur les épaules. « Les pièces coréennes pour le marché électronique deviennent plus compétitives. Les prix en bout de chaîne connaissent une baisse de 8 % par le seul effet de l’application de l’accord de libre-échange. Ce contexte incitera peut-être le Japon à faire davantage de concessions », estime Guillaume Desurmont.

 

À cela s’ajoute la pression médiatique locale. Les médias japonais pointent de plus en plus du doigt la différence avec d’autres pays et le besoin d’évolution sur le plan tarifaire. Bon nombre de caméras vidéo fabriquées en Asie, par exemple, sont importées en France sans tarif d’import. À l’heure actuelle, les produits de la marque Sony y sont toujours soumis. Il en va de même dans le secteur automobile.

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