Par Camille Rousset, Avocat associé, cabinet Delsol avocats
Le directeur de l’association est le garant, en pratique, du bon fonctionnement des activités de l’association car il constitue le rouage entre les membres d’une gouvernance bénévole et les salariés. Cela implique, pour l’association, de bien définir le contenu du contrat de travail et de la délégation de pouvoirs consentie au bénéfice de son directeur pour anticiper au mieux les écueils : d’une gouvernance trop présente au risque de devenir paralysante pour son directeur ou, au contraire, d’une gouvernance trop absente au risque d’un désengagement laissant à l’entière disposition de son directeur la gouvernance de la structure.
Au plan rédactionnel : importance du contrat de travail et de la délégation de pouvoirs
De l’établissement du contrat de travail du directeur…
Indépendamment de la détermination de la convention collective applicable, l’embauche d’un directeur doit conduire à la signature d’un contrat de travail même si l’établissement de celui-ci n’est pas requis par la loi (1), sous réserve de dispositions conventionnelles spécifiques à cet égard (2).
Pour rappel, l’application de la convention collective relève de l’activité principale réellement exercée au sein de l’association (3), sous réserve de son extension (4) ou d’une adhésion à un syndicat signataire à la convention en cause (5), étant aussi rappelé qu’une application de convention collective peut résulter du volontariat avec la possibilité d’une application partielle dans les relations individuelles de travail et non collectives, ce qui exclut la représentation du personnel (6).
Le contrat de travail consacrera l’autonomie que les organes de gouvernance souhaiteront accorder à leur directeur avec un descriptif des fonctions qui lui seront confiées et qui pourront d’ailleurs ressortir d’une fiche de poste annexée au contrat de travail.
Le statut du directeur – en principe cadre –est ainsi le miroir de l’autonomie dont l’intéressé disposera en termes d’organisation de son emploi du temps. Le plus souvent cadre « dirigeant », le directeur d’association répondra alors à la définition posée par le code du travail, à savoir : « sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement » (7). À défaut et sous réserve que des dispositions conventionnelles le permettent, le directeur sera cadre « autonome », avec le bénéfice d’un forfait en jours, sauf à être cadre « intégré », ce qui implique le respect d’horaires individuels ou collectifs, à l’instar des autres salariés de l’association (8).
La mise en place d’un contrat de travail doit être aussi l’occasion d’intégrer certaines obligations réciproques afin, en particulier, de s’assurer de la mobilité immédiate et future (9) du directeur, avec la préoccupation de protéger les données confidentielles de la structure ressortant, par exemple, du droit des brevets et marques ou de la propriété intellectuelle. Une clause de dédit-formation peut même être envisagée plus spécialement dans le cadre de formations requises pour accéder au poste de direction et pour permettre, en particulier, une promotion en interne.
Les notions de clientèle et de concurrence déloyale sont en principe sans objet au sein d’associations à but non lucratif, hormis le cas des associations dont l’activité ressortirait en tout ou partie d’un secteur concurrentiel et qui peuvent, à ce titre, être fiscalisées comme des sociétés de droit commun (10).
… à la délégation de pouvoirs
L’objet de la délégation de pouvoirs doit permettre à la fois de clarifier la répartition des pouvoirs au sein d’une structure et d’opérer un transfert de la responsabilité pénale correspondant aux missions déléguées, cette responsabilité étant, à défaut, dévolue au président de l’association.
Aucune disposition légale n’encadre la délégation de pouvoirs, dont le régime a été élaboré progressivement par la jurisprudence. Si aucun formalisme n’est donc requis, il est recommandé de rédiger une délégation de pouvoirs définissant précisément les missions et responsabilités déléguées et matérialisant l’information et le consentement du délégataire. En tout état de cause, une délégation de pouvoirs n’est valide qu’à condition que le délégataire dispose :
– des compétences, ce qui suppose un niveau de formation et/ou d’expérience professionnelle suffisant correspondant au(x) domaine(s) ou à la (aux) mission(s) déléguée(s) ;
– de l’autorité, ce qui implique que le délégataire dispose du pouvoir de donner des ordres et de les faire exécuter ;
– des moyens matériels et financiers nécessaires à l’exercice des missions confiées (11).
Le cas d’un partage de responsabilités entre plusieurs directeurs suppose de distinguer clairement les activités et les salariés qui leur sont rattachés respectivement, de sorte qu’il ne doit pas y avoir de confusion sur le champ d’action entre plusieurs directeurs (12).
Cette exigence peut conduire à « isoler » différents groupes de salariés, affectés chacun à telle activité placée sous l’autorité d’un seul directeur. À défaut, en cas de confusion sur le périmètre des délégations de pouvoirs, ces dernières pourraient ne produire aucun effet (13). En pratique, la gestion des relations collectives (réunions avec les institutions représentatives du personnel et négociations collectives) pourra conduire à l’identification d’un seul interlocuteur par souci de lisibilité de l’organisation de la direction. Si le domaine de prédilection de la délégation de pouvoirs est l’hygiène et la sécurité (14), la jurisprudence admet des délégations de pouvoirs dans tous les champs impliquant une responsabilité de l’employeur, à savoir l’accomplissement des formalités d’embauche, le contrôle de la durée du travail, les relations avec les représentants du personnel notamment (15).
En matière disciplinaire, les règles édictées par la jurisprudence sont éminemment statutaires. Ainsi, une nuance, et non des moindres, doit être faite en matière de délégation de pouvoirs au sein d’un organisme associatif (16). En effet, la position de la chambre sociale de la Cour de cassation à ce sujet se trouve être bien plus stricte que pour les sociétés commerciales. Si, dans ces dernières, la délégation de pouvoirs ne nécessite aucune forme particulière (17), à l’inverse, au sein d’une association, seule une disposition statutaire expresse peut permettre une délégation de pouvoirs. Par conséquent, si les statuts ne prévoient pas expressément la personne compétente en matière de licenciement, ce pouvoir reviendra par défaut au président de l’association (18) , le risque étant que si les statuts ne prévoient pas également la possibilité de déléguer ce pouvoir, alors seul le président restera compétent en la matière (19).
Il convient dès lors d’être très prudent, lors d’une procédure de licenciement, sur le choix de la personne la mettant en œuvre.
En effet, la jurisprudence considère que « l’absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement prive le licenciement de cause réelle et sérieuse » (20) et entraîne même, parfois, la nullité du licenciement (21).
Au plan pratique : comment ajuster le curseur de la délégation de pouvoirs ?
Pour éviter l’écueil d’une gouvernance abusive au préjudice du directeur
La paralysie de la gouvernance d’une association s’observera toutes les fois qu’un conflit interne politique et/ou de personnes conduira à l’impossibilité de dégager une majorité, spécialement au sein du conseil d’administration. Ces difficultés seront étroitement liées aux mécanismes de gouvernance arrêtés par les statuts, le rédactionnel ayant un impact incontestable sur le fonctionnement d’une structure. Une crise politique peut ainsi conduire à la paralysie des organes de gouvernance, au point de devoir envisager dans certains cas la dissolution de l’association concernée (22).
Des tensions peuvent aussi être observées entre les organes mêmes de gouvernance, c’est-à-dire entre un président et les membres du conseil d’administration, lors d’un rapprochement « forcé » entre plusieurs structures en raison de contraintes, en particulier financières, liées au mode de dotations budgétaires imposé par les financeurs. Ce qui conduit dans la plupart des rapprochements à une absorption d’une ou plusieurs structures avec l’obligation d’harmoniser le statut collectif des salariés. Or, ces rapprochements peuvent mettre en exergue des situations de direction bicéphale incompatibles avec l’objectif posé d’une structure unique, en générant la problématique communément appelée d’un « doublon » de postes de direction.
À défaut de pouvoir mettre en place une direction bicéphale, sous réserve des observations ci-dessus en matière de délégation de pouvoirs (répartition entre directeurs de responsabilités sur des secteurs professionnels et/ou géographiques distincts), le rapprochement conduira, de fait, un directeur à « chapoter » l’ensemble des activités de l’association, au risque de caractériser une modification imposée du contrat de travail de son homologue. Ces questions parfois mal anticipées dans le cadre de fusions-absorptions peuvent générer des conflits internes et caractériser des situations de souffrance au travail répercutées par effet domino dans les services. Dans certains cas, les négligences ressortant d’une organisation peu structurée seront susceptibles de s’apparenter à du harcèlement moral « structurel » (23), alors même qu’aucune intention malveillante n’est caractérisée.
Il est donc impératif de régler ces questions en amont d’une opération de rapprochement – sous forme notamment de fusion-absorption ou fusion-création –, et ce, d’autant que la loi Travail permet désormais aux partenaires sociaux d’anticiper les effets de la fusion par la négociation d’un accord de substitution qui deviendra opérationnel au jour même de la fusion (24).
L’harmonisation du statut collectif concerne en effet l’ensemble des salariés impactés par le rapprochement de structures et, à ce titre, les directions de chacune, avec la question de la répartition des compétences entre elles et, le cas échéant, celle de la suppression ou modification d’un poste de direction, ce qui implique de pouvoir caractériser un motif économique et le respect des procédures prévues à cet effet (25).
À défaut de pouvoir caractériser un motif économique et en cas de nécessité de suppression ou modification du contrat de travail de l’un des directeurs, la médiation s’avérera le mode le plus opportun pour négocier soit un aménagement du poste en interne, soit un départ concerté et respectueux des intérêts de chacun, ce qui peut conduire, au plan juridique, à la mise en place d’une rupture conventionnelle homologuée.
Un directeur peu soutenu par sa gouvernance pourra tout autant se retrouver dans une situation de souffrance au travail.
Bien plus nombreux sont les conflits qui résultent d’un abus du pouvoir disciplinaire du directeur lui-même envers les salariés sous sa subordination lorsque l’intéressé n’est limité par aucun contre-pouvoir, ni aucun contrôle des organes de gouvernance. C’est le cas typique des associations dont la présidence et le conseil d’administration sont renouvelés chaque année, ce qui génère une difficulté pratique de suivi des dossiers, avec la dérive des pleins pouvoirs donnés au directeur ou au salarié responsable de la gestion des activités.
À ce titre, des situations conflictuelles entre la direction et les salariés peuvent résulter d’une confusion des genres affectifs et/ou d’engagements associatifs avec les contraintes ressortant de la relation salariée qui implique de caractériser un lien de subordination (26). Cette confusion conduit alors à une mauvaise lecture du contrat de travail et de la distribution des fonctions confiées aux salariés eux-mêmes.
L’exigence de rigueur posée lors de la rédaction du contrat de travail du directeur doit ainsi être répercutée pour chacun des salariés. En outre, l’engagement « solidaire et social » ne doit pas faire oublier la nécessité d’asseoir le pouvoir disciplinaire et de direction de l’employeur, en pratique dévolu au directeur qui reçoit une délégation de pouvoirs à cette fin, conformément aux dispositions statutaires en vigueur. Cette précaution permettra à chacun d’identifier son rôle, dans un souci de communication et, par voie de conséquence, de motivation et de reconnaissance légitimement attendues par les salariés.
L’association pourra ainsi mettre en place, par la rédaction même de ses statuts, des outils destinés à assurer la transmission des informations d’une année sur l’autre avec des relais extérieurs toutes les fois que l’externalisation d’un service sera envisageable, comme la comptabilité, les ressources humaines et l’expertise juridique.
Il est essentiel d’instaurer des procédures de contrôle du travail du directeur dans l’intérêt des salariés qui lui sont « confiés » et dans son propre intérêt, si ce n’est pour s’assurer de l’adéquation de sa charge de travail, comme l’oblige la mise en place de forfaits jours (27) ou comme prévu en matière de formation (28), ou encore pour la validation d’objectifs qui lui seraient assignés, en lien avec son expertise et ses compétences dans le cadre d’entretiens d’évaluation. Cette dernière procédure nécessite néanmoins que le salarié soit informé préalablement des méthodes et techniques d’évaluation mises en œuvre à son égard (29), qui devront être pertinentes au regard de la finalité poursuivie.
Les entretiens avec le directeur devront être assurés impérativement par le président en sa qualité de chef d’entreprise, conformément aux dispositions statutaires, comme évoqué ci-dessus s’agissant de la problématique du licenciement et de la mise en œuvre de procédures disciplinaires.
Par ailleurs, dans les structures associatives concernées, les organes de gouvernance devront respecter leurs obligations vis-à-vis des institutions représentatives du personnel, pivots d’informations précieuses, notamment en matière d’hygiène et de sécurité pour la gestion des risques psychosociaux (30).
En synthèse, la cohésion de la gouvernance d’une association et sa force ressortent de la rédaction même de ses statuts, dont la mise en œuvre doit conduire à la recherche d’un juste équilibre dans la délégation consentie au directeur. Ce juste équilibre implique la mise en place de procédures de contrôle pour protéger les intérêts des salariés, y compris du directeur, et, à travers eux, pour assurer le bon accomplissement de l’objet social de la structure.
Camille Rousset, Avocat associé, cabinet Delsol avocats
Notes :
(1) Soc. 27 mars 2001, no 98-40.928.
(2) C’est le cas, par exemple, de la convention collective des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure du 31 octobre 1951 (CCN 51), art. 04.01.
(3) Soc. 16 nov. 1993, no 90-44.807 ; sur l’application de la convention collective, X. Aumeran, JA no 548/2016, p. 39.
(4) Soc. 12 nov. 1996, no 94-43.859.
(5) Soc. 22 oct. 1985, no 83-41.227.
(6) Soc. 18 juill. 2000, no 99-60.440.
(7) C. trav., art. L. 3111-2.
(8) C. trav., art. L. 3121-58 et L. 3121-63.
(9) La clause de mobilité est appréciée dans son périmètre au jour de la signature du contrat, ce qui exclut les clauses de mobilité groupe et l’extension automatique en cas d’élargissement du périmètre de la société : Soc. 13 mai 2015, no 14-12.698 ; Soc. 19 mai 2016, no 14-26.556.
(10)Par exemple, les associations d’hospitalisation à domicile et de mise à disposition de matériel médical auprès des patients.
(11) Crim. 29 avr. 1998, no 97-82.420.
(12) À supposer qu’ils bénéficient de délégations de pouvoirs sur des mêmes champs de compétences, ventilées sur des pôles ou secteurs d’activité professionnels et/ou géographiques distincts.
(13) Soc. 21 nov. 2000, no 98-45.420.
(14) Crim. 26 oct. 2010, no 10-80.414.
(15) Soc. 15 déc. 2010, no 09-42.642 (en matière de conclusion de contrat de travail); Crim. 19 nov. 1985, no 84-94.665 (en matière de durée du travail) ; Soc. 16 déc. 1980, no 79-13.205 (en matière de relations collectives).
(16) M. Philipona, JA no 488/2013, p. 45.
(17) Soc. 7 juin 2011, no 10-15.848 : la délégation du pouvoir de licencier ne nécessite pas d’écrit.
(18) Soc. 10 juill. 2013, no 12-13.985.
(19) Soc. 8 juin 2011, no 09-69.853.
(20) Soc. 19 sept. 2012, no 11-14.547.
(21) Soc. 13 sept. 2005, no 02-47.619.
(22) L. du 1er juill. 1901 relative au contrat d’association, JO du 2, art. 9.
(23) Soc. 23 nov. 2011, no 10-18.195 ; Soc. 10 nov. 2009, no 07-45.321.
(24) L. no 2016-1088 du 8 août 2016, JO du 9, art. 17, réd. C. trav., art. L. 2261-14-3.
(25) C. trav., art. L. 1233-3 et L. 1233-6.
(26) L’existence d’un contrat de travail est le fruit de la réalisation d’une prestation rémunérée accomplie sous un lien de subordination. Sur la caractérisation du lien de subordination, v. Soc. 13 nov. 1996, no 94-13.187.
(27) C. trav., art. L. 3121-60.
(28) C. trav., art. L. 6315-1.
(29) C. trav., art. L. 1222-3.
(30) C. trav., art. L. 4612-3 (missions de prévention du CHSCT) ; C. trav., art. L. 4612-8-1 (consultations obligatoires du CHSCT) ; C. trav., art. L. 4121-1 à L. 4121-5 (obligations de l’employeur en matière d’hygiène et de sécurité).