Commerce International : Quelle est votre définition du green business ?
Thierry Téné : « Je préfère parler de “ social-green business ”, qui est l’une des composantes du green development. Le green development est l’ensemble des politiques sectorielles visant à favoriser la croissance verte grâce au social-green business, aux opportunités financières liées au mécanisme de développement de propre (MDP) et à la finance carbone. Le social-green business peut être considéré comme l’ensemble des activités économiques quel que soit le secteur d’activités, permettant le recours aux matériaux, techniques et énergies alternatifs pour la création de richesses, tout en limitant l’impact sur l’environnement et avec de fortes retombées sociales et sociétales. »
Quelles sont les opportunités à saisir dans le green business pour les entreprises d’Afrique centrale ?
T. T. : « Le green business peut se matérialiser par l’écologie industrielle et l’amélioration de l’efficacité énergétique, notamment grâce aux variateurs électroniques de vitesse. Le secteur industriel en Afrique possède un gisement important d’économie d’énergie pour les moteurs électriques, les systèmes de ventilation, d’air comprimé et de production de froid. L’éco-conception des produits permet aussi de limiter la consommation de matières premières et de réduire les coûts. Dans le cadre, par exemple, d’une entreprise de production de bouteilles en plastique, la réduction de la taille du bouchon et du poids du produit est un gisement important de baisse de coût, de préservation de l’environnement et d’économies des matières premières. Avec la raréfaction du pétrole, le recyclage des bouteilles et la promotion des matériaux verts (bouteilles fabriquées à partir d’amidon de maïs, de manioc ou de fécules de pomme de terre par exemple) sont des initiatives à valoriser et à développer. La réalisation d’un Bilan Carbone® (évaluation des principaux postes de consommation d’énergie ramenés aux émissions de gaz à effet de serre) d’une industrie ou entreprise tertiaire (administration comprise) permet de hiérarchiser les priorités du plan d’actions. On peut encore citer le tourisme vert, les transports alternatifs (rails, fluvial, etc.) et en commun, la récupération des gaz torchés lors de l’exploitation du pétrole. Dans le cadre de l’exploitation forestière, la valorisation des déchets bois par cogénération (production d’électricité et de chaleur) sont à développer. »
Qu’en est-il dans les autres sous-régions ?
T. T. : « En Afrique du Nord, il y a un potentiel solaire et éolien important. Avec l’urbanisation galopante, la construction durable ainsi que la valorisation énergétique, matière et organique des déchets ménagers et industriels font partie des opportunités. Il y a aussi des niches dans le tourisme durable. Vu la problématique liée à l’eau, on peut envisager dans le domaine agricole et agroalimentaire le goutte à goutte incorporé aux engrais ou même l’irrigation à partir d’énergies renouvelables comme le solaire. Face à la pression touristique, dans le cadre de l’assainissement des eaux usées, il est possible de produire du biogaz et des biocarburants grâce à l’action des microalgues dans les stations d’épuration. En Afrique de l’Est, il existe un potentiel important dans l’énergie géothermique, l’agriculture biologique et l’éco-tourisme. En Afrique de l’Ouest, le potentiel solaire est important, les méthodes alternatives pour la culture du coton et du cacao sont à développer pour la transformation sur place des ressources naturelles. De manière générale, pour chaque sous-région et pays, il est urgent d’élaborer un diagnostic concerté du green development et du “ social-green business ” afin de définir des stratégies d’action. Car le potentiel africain est inépuisable. »
Comment impulser ces stratégies ?
T. T. : « La priorité aujourd’hui est la sensibilisation de l’ensemble des parties prenantes. La rencontre de Pointe-Noire s’inscrit dans cette logique. Elle doit déboucher sur des préconisations qui devront rapidement être mises en place pour garder la dynamique enclenchée. Ensuite, il faut former les cadres de l’administration, des collectivités et des entreprises et les accompagner dans le montage et la réalisation d’éco-projets. La diaspora africaine peut jouer ici un rôle grâce à l’e-formation, qui permet de réduire les frais de déplacement. Les clauses de “ social-green business ” doivent également être insérées dans les contrats d’exploitation des matières premières, avec obligation de les transformer sur place dans une logique d’écologie industrielle, d’éco-conception et de limitation des pollutions. Les États, les collectivités territoriales et le secteur privé peuvent lancer des programmes ambitieux d’accompagnement à la création des éco-entreprises et de mutation de l’économie informelle vers l’économie sociale et solidaire. »
Quel est le profil des partenaires potentiels visés par le forum ?
T. T. : « La recherche de partenariat est fonction des besoins. Dans la plupart des pays, il y a des initiatives très intéressantes. Un benchmark (démarche d’observation et d’analyse des pratiques utilisées par la concurrence ou par des secteurs d’activité pouvant avoir des modes de fonctionnement réutilisables par l’entreprise, ndlr) est donc indispensable pour cibler les futurs partenaires. L’Allemagne, les pays d’Europe du nord (Suède, Danemark, etc.), l’Espagne (pour le solaire), les États-Unis, le Canada et surtout la Chine sont des pays très avancés dans le domaine du green business. Certains organismes comme l’ONUDI (Organisation des Nations unies pour le développement industriel, ndlr) et le PNUE (Programme des Nations unies pour le développement, ndlr) développent une expertise dans ce domaine. Pour la mise en œuvre opérationnelle des projets, un partenariat public-privé peut par exemple constituer un tremplin pour la gestion durable des déchets. Tous les secteurs d’activités sont concernés par la croissance verte, avec une priorité pour le BTP, l’énergie (y compris les agrocarburants), l’agriculture, l’eau, les déchets et l’assainissement. »
Vous travaillez beaucoup sur les problématiques d’écologie industrielle là où d’autres se concentrent sur l’industrialisation « tout court » du continent. Notez-vous un intérêt des États et du secteur privé pour le développement d’écosites dans la région ?
T. T. : « À l’exception de quelques initiatives au Sénégal, Togo et Nigeria, l’écologie industrielle n’est pas encore une priorité pour les états et le secteur privé africains. Nous déplorons énormément cette situation, car il y a un réel potentiel pour l’exploitation durable et la transformation des matières premières sur place, ainsi que la lutte contre les pollutions diverses. »
Comment encourager ces nouvelles pratiques dans des pays où l’industrialisation est inexistante et dans ceux où l’industrie liée à l’exploitation des ressources naturelles est très polluante ?
T. T. : « L’écologie industrielle est une réelle opportunité pour l’Afrique, car le continent débute son industrialisation. Il est en général plus « facile » d’adopter ces nouvelles pratiques en amont plutôt qu’une fois les entreprises installées. En outre, dans un contexte de changement climatique, de raréfaction des énergies et d’épuisement des ressources naturelles, de flambée des coûts de l’énergie, comment ne pas mettre en place une exploitation durable des ressources ? Si lors de l’activité économique, on n’internalise pas les externalités négatives comme la pollution, des risques se présentent pour la santé des travailleurs et des riverains, pour le milieu naturel (pollution de l’eau, de la terre) et les émissions de gaz à effet de serre augmentent. Cela représente un coût important pour tous les acteurs. »
Le développement du green business nécessite une réelle volonté politique, un soutien des bailleurs, une implication du secteur privé au Nord comme au Sud, des ressources humaines formées… Le véritable tournant vert des économies africaines ne risque-t-il pas d’intervenir dans plusieurs décennies ?
T. T. : « Le business de l’environnement nécessite effectivement une forte volonté politique. Mais la transformation de l’économie africaine arrivera très vite, au risque de surprendre. Avec l’ambitieux projet Maurice Île Durable (1), le gouvernement mauricien a initié depuis 2008 – après la flambée du prix du pétrole – une transformation profonde de son mode de développement, désormais orienté vers la croissance verte. Le plan Maroc Vert, lancé par le roi Mohamed VI et le programme Gabon Vert du président Ali Bongo (2) s’inscrivent dans une dynamique similaire. Tous ces projets sont appuyés par les bailleurs de fonds, le secteur privé local et des multinationales. L’urgence aujourd’hui est de leur donner une visibilité, d’en faire une priorité politique. Il y a aussi un véritable challenge à relever dans le domaine de la formation, qui peut constituer un obstacle important. Avec une diaspora formée et le développement d’une méthodologie reconnue auprès des partenaires du Nord et de l’Asie, l’Afrique pourra rapidement tirer son épingle du jeu. »
Le bassin du Congo (3) subit des dégâts considérables du fait de l’exploitation industrielle de son bois (légale et illégale). Ces dernières années ont été marquées par des discours politiques rassurants. Assiste-t-on à un sauvetage progressif ou à un vœu pieu ?
T. T. : « Le bassin du Congo est au centre de plusieurs conflits d’intérêts. Face à l’urgence climatique, l’opinion internationale exerce une pression pour sa préservation. Or les états africains ont besoin d’exploiter le bois et les autres ressources de la forêt pour une rentrée des devises. En cette année internationale de la biodiversité, l’estimation économique de la biodiversité du bassin du Congo permettrait de dépassionner le débat et de définir un véritable projet de gestion durable. En se basant sur une étude du Centre d’analyse stratégique indiquant qu’un hectare de forêt français peut être valorisé à 970 euros par an pour les services qu’elle rend à la communauté, nous avons conclu que les 200 millions d’hectares des forêts du bassin du Congo pourraient rapporter près de 194 milliards d’euros chaque année aux pays riverains. Bien évidemment, la forêt primaire africaine est plus riche que la forêt française et le coût à l’hectare sera probablement plus élevé. Une étude socio-économique et écologique du rôle du bassin du Congo s’impose, afin que son sauvetage ne se transforme pas en vœu pieux. Il faudra aussi définir la compensation à solliciter dans le cadre des négociations climatiques. »
(1) Commerce International consacrera un article à ce projet dans son édition de juillet 2010.
(2) Plus d’informations sur le site de la république du Gabon : www.legabon.org.
(3) Seconde région de forêts tropicales anciennes du monde, le bassin du Congo couvre six pays.