Succes Story – Le « Kirikou » de Michel Ocelot : un succès mondial

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« Kirikou n’est pas grand, mais il est vaillant ». Avec ce dessin animé français, celui qui aime se définir comme un inventeur d’histoires, un faiseur de films, a obtenu au cinéma le plus grand succès de film d’animation français depuis Astérix. Une réussite incroyable pour un film jugé d’abord « invendable ». Rencontre avec son réalisateur, Michel Ocelot.

Commerce International : Combien d’entrées pour «Kirikou», trois ans après sa sortie
Michel Ocelot : « Un million quatre en France (Ndlr : on parle de succès au cinéma à partir de 500 000), sans publicité ni bande-annonce, avec des projections en matinée.»

C.I. : Pourtant, le film a failli ne pas voir le jour…
M.O. : « C’est toute l’hypocrisie du système : les professionnels qui m’entouraient voulaient que je cache les seins nus des femmes africaines – une image tellement innocente ! – mais aussi qu’il n’y ait pas de voix avec des accents. Ils trouvaient aussi le titre et l’histoire trop simples ! La télé, les distributeurs vidéo, tous avaient ce jugement. Si je les avais suivis, le film aurait rapidement disparu des salles. »

C.I. : Pourquoi ce manque de flair commercial ?
M.O. : « Parce que, dans cet univers, seul compte le modèle anglo-saxon. D’après eux, le film était invendable ! Pourquoi ramper ainsi alors que nous ne travaillons pas avec des budgets américains… »

C.I. : Quel est l’investissement ?
M.O. : « Pour “Kirikou”, il a fallu deux ans pour réunir un budget de 3,2 millions d’euros (21 MF à l’époque), le coût final a été de 3,8 millions d’euros (25 MF). Quand le producteur principal, Les Armateurs, a dû trouver la rallonge auprès de FR3 pour terminer le tournage, je me suis retrouvé dans une impasse : soit cacher la poitrine des femmes africaines, soit abandonner le film. Par chance, le responsable a quitté la chaîne, et son remplaçant m’a donné le feu vert ! »

C.I. : Avez-vous tout fait en France ?
M.O. : « L’animation française, qui est la 3e du monde derrière les États-Unis et le Japon si on inclut l’industrie télévisée, sous-traite le travail d’animation (les dizaines de milliers de dessins) à l’étranger, le plus souvent en Asie. Certains aujourd’hui vont jusqu’à délocaliser le décor ! »

C.I. : Et pour “Kirikou” ?
M.O. : « Il y a plus de quatre ans de travail réparti entre cinq pays différents : une énorme dispersion ! D’une part la France, la Belgique, le Luxembourg – parce qu’il y avait co-production – pour la préparation du travail, le décor, le tournage informatique, soit une équipe d’une dizaine de personnes pour chaque type d’opération. D’autre part, la Lettonie et la Hongrie pour l’animation, soit 100 800 dessins qui ont occupé une cinquantaine de personnes pendant deux ans à partir des 1 200 plans préparés ici. »

C.I. : Aujourd’hui, le film voyage tout seul…
M.O. : « Il est aux quatre coins du monde, même en Amérique latine, en Chine… Comme en France, il séduit les enfants non seulement à partir de 7 ans comme prévu, mais toute la famille dés l’âge de 3 ans. »

C.I. : Jusqu’aux pays anglo-saxons finalement ?
M.O. : « Universal a jugé le film bon et déclaré être prêt à le diffuser aux États-Unis dès que les seins seraient cachés. Comme il n’en était pas question, c’est finalement une petite société qui le distribue. En Grande-Bretagne, la BBC refusait aussi la  » nudité frontale « , mais à la suite d’une récompense, le British Film Institut s’apprête à le distribuer. Au Canada, ce sont les francophones qui le diffusent car les Québécois ont beaucoup aimé le film. Ca fait un drôle d’effet de le voir en salle avec des mises en garde bilingues sur les seins nus ! »

C.I. : D’après vous que faut-il réunir pour qu’un film devienne une « marchandise intéressante » ?
M.O. : « Le public sait reconnaître l’honnêteté, le sentiment, les choses vraies. Il faut prendre le risque de faire des films forts qui ne plaisent pas aux États-Unis. Mme de Maintenon dit dans ses lettres qu’il y a autant de calcul à être honnête que malhonnête… Pourquoi chercher à raisonner autrement sur un plan commercial ? »

C.I. : Le succès se traduit aussi par les produits dérivés ?
M.O. : « Oui, mais j’ai tenu à tout contrôler. Il y a eu beaucoup d’éditions enfantines, notamment l’album écrit pour Milan qui est le record de vente absolu pour une production française, les livres de poche chez Hachette qui se vendent très bien, etc. La cassette vidéo est aussi un grand succès. Ensuite il y a les produits dérivés qui utilisent l’image du héros : cela va des fournitures scolaires aux jeux vidéo (sur lesquels il a fallu intervenir car le projet faisait faire n’importe quoi au personnage), en passant par des expériences plus hasardeuses comme la broderie au point de croix… Trois ans après la sortie du film, nous sommes encore sollicités. »

C.I. : Vous pouviez avoir toutes les prétentions, et vous avez ressorti « Princes et Princesses », sans gros budget publicitaire !
M.O. : « Nous l’avons sorti avec le même producteur et le même distributeur, Gébéka, qui a misé sur le bouche à oreille, en choisissant de bonnes salles, c’est-à-dire celles qui permettent de rester longtemps à l’affiche. »

C.I. : Le succès a encore été au rendez-vous…
M.O. :  « C’est drôle, ce film réunit huit contes qui avaient dix ans et un succès d’estime. Je les avais conçus pour une série télévisée de vingt histoires, qui n’a toujours pas trouvé preneur. Je n’avais pas de budget et j’avais choisi une technique simple et bon marché : nous l’avons fait en nous amusant à sept ou huit, munis de ciseaux, de papier, d’une table lumineuse et d’une caméra 16 mm, en un an (au lieu de trois ou quatre). Aujourd’hui, il a dépassé les 400 000 entrées en France ! Étant donné le coût, le rapport est particulièrement intéressant… »

C.I. : Ces réussites ont-t-elles tenté les investisseurs ?
M.O. : « On peut dire que “Kirikou” a ouvert les portes à une dizaine de projets de longs métrages français. »

C.I. : Comment expliquer que «Le Château des singes », avec un budget double, n’ait pas rencontré un tel succès ?
M.O. : « Je pense que ça ne tient pas au réalisateur français qui a du talent, mais encore une fois à ce modèle anglo-saxon. »

C.I. : Depuis ces succès, vous n’avez plus de regrets ?
M.O. : « Si ! Celui d’être si lent alors que les idées et les envies se bousculent. »

C.I. : Pour votre prochain long métrage, tous les financements sont permis…
M.O. : « Grâce aux bénéfices des précédents, ma société qui était impliquée dans la production fait actuellement travailler – sans la moindre dépendance vis-à-vis de l’extérieur – cinq salariés sur le nouveau projet de long métrage qui a obtenu l’aide au développement du CNC. La prochaine étape, classique au cinéma, sera l’obtention de l’avance sur recettes, considérée par la profession comme un visa de viabilité du film, et la recherche d’un financement conséquent. »

C.I. : Quelle est votre ambition ?
M.O. : « Je fais cette fois le pari de tout faire en France, excepté la post-production. Je suis sûr de faire du bon travail en ayant tout le monde autour de moi et je ne crois pas que cela sera tellement plus cher. C’est le pari de la simplicité technique (presque tout sera filmé en numérique) et d’une petite équipe de pros avec lesquels je m’entends très bien : il s’agit d’éviter les galères et de trouver beaucoup de plaisir pour en donner au public… Je prévois aussi un département droits dérivés en interne parce qu’il y a vraiment des choses intéressantes à imaginer dans ce domaine. »

C.I. : S’agit-il cette fois d’un film pour adultes ?
M.O. : « J’avais un projet pour adultes que j’ai mis en sommeil. Je n’accepte pas l’idée que l’entrée soit interdite aux enfants… ”Kiriko“ a touché la famille, qui a su m’émouvoir à son tour. C’est presque une commande à honorer… »

C.I. : Ce dernier projet en deux mots ?
M.O. : « La sortie en salle est prévue pour 2005. Il s’appelle “Azur et Azmar ”, il est totalement invendable (rires) ! »

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