Map Ta Phut (Thaïlande): les industriels soufflent, les écologistes déchantent

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Photo : D.R.
Après un an de blocage, la cour de justice vient de donner son feu vert à la reprise des activités sur le plus gros complexe industriel du royaume. Au grand dam des écologistes…

Indignation des communautés locales, soulagement des industriels : la décision de la cour de justice thaïlandaise, début septembre, a renforcé les clivages. 74 des 76 projets du complexe industriel de Map Ta Phut, le plus grand de Thaïlande, ont été autorisés à reprendre leurs activités après des mois d’enlisement. Le site controversé s’étend sur environ 15 kilomètres, à 170 km au sud-est de Bangkok. Lancé à la fin des années 1980, en plein décollage économique, il compte une centaine d’usines, principalement pétrochimiques, ainsi que des aciéries et cimenteries. Depuis des années, des activistes et résidents font part de leurs préoccupations quant au respect des normes environnementales sur ce complexe.
La justice thaïlandaise leur avait donné raison à deux reprises. En mars 2009, elle avait ordonné le classement de Map Ta Phut en « zone de pollution contrôlée », ce qui implique des contrôles environnementaux très stricts. Le 29 septembre suivant, le tribunal administratif décidait de geler temporairement 76 projets en construction après le dépôt d’une plainte par un militant écologiste sur la légalité des permis industriels. Une dizaine d’usines seulement avaient pu reprendre leurs activités trois mois plus tard, laissant les autres investisseurs dans l’incertitude pendant près d’un an. « L’enlisement tenait au manque de clarté de notre Constitution sur les rapports entre industrie et environnement », explique Dusit Nontanakorn, président de la Chambre de commerce thaïlandaise (TCC).
Les autorités locales ont éclairci ce point deux jours avant que la cour ne rende sa décision sur l’affaire Map Ta Phut. Pour la première fois, un Comité national de l’environnement, créé et présidé par le Premier ministre démocrate Abhisit Vejjajiva, a établi une liste de onze activités industrielles jugées nuisibles. Parmi elles, on trouve par exemple les produits pétrochimiques, les mines, les centrales, les barrages et les pistes d’aéroport, désormais tenus de se soumettre à des études d’impact. La cour a jugé que seules deux usines de Map Ta Phut étaient concernées par ces restrictions et a donc autorisé la réouverture de toutes les autres.
L’ensemble du secteur privé se dit aujourd’hui soulagé par cette décision. Le complexe de Map Ta Phut, c’est 8 milliards d’euros (4,5 % du PIB thaïlandais). Lassés par la lenteur de la procédure, les investisseurs, en particulier japonais (voir encadré), avaient menacé de trouver un nouveau site d’implantation. « La confiance est maintenant revenue, se félicite Dusit Nontanakorn. L’indice de confiance des entreprises est remonté à 71,9 % en septembre, contre 41,5 % l’année dernière.
Je pense que la résolution de l’affaire Map Ta Phut est bonne pour tout le monde. » Pas sûr. Car du côté des parties civiles, l’accueil est tout autre. « Je ne comprends pas pourquoi [les autorités] font plaisir aux industriels », peste Noi Jaitang, 71 ans, interrogé par l’AFP. Il accuse les fumées du complexe de Map Ta Phut d’avoir peu à peu intoxiqué sa famille. Sa femme a développé deux cancers du visage et ses enfants auraient été contaminés par une pluie acide. En 2003, l’Institut national contre le cancer a indiqué que le taux de cancer le plus élevé de Thaïlande provenait de cette province.
Le Réseau des populations de l’Est, une association basée à Rayong, où est installée la zone industrielle, poursuit la lutte. Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées début octobre près des usines pour réclamer la modification ou l’annulation de la liste des activités industrielles nuisibles. « Le gouvernement n’a négligé ni la vie des gens, ni l’impact sur l’environnement », se défend le Premier ministre Abhisit Vejjajiva.
Le président de la Chambre de commerce thaïlandaise reconnaît quant à lui qu’un grand travail reste à faire sur la problématique environnementale : « La Thaïlande a reçu une leçon. Les entreprises doivent tenir compte de leur impact sur l’environnement et les populations. Nous devons réussir à faire cohabiter paisiblement le secteur industriel et notre société en développant des régulations et un code de pratiques. La résolution de l’affaire Map Ta Phut est la première pierre de cet édifice ».

Objectif : rassurer les investisseurs japonais
Le Premier ministre Abhisit Vejjajiva s’est félicité de l’accueil très favorable de la décision par les partenaires japonais. Ces derniers mois, les autorités thaïlandaises s’étaient attachées à rassurer ces investisseurs indispensables. Le Japon est le premier investisseur étranger du royaume et compte pour plus de la moitié des investissements étrangers en Thaïlande. Par l’intermédiaire de leur Chambre de commerce (JCC), les Japonais avaient prévenu mi-janvier qu’ils pourraient se « désintéresser de la Thaïlande » si, entre autres, « le cas Map Ta Phut restait dans l’impasse ». En 2009, le montant des investissements japonais en Thaïlande avait diminué de 24 % selon les statistiques du Board of Investment (BOI). Yamabe Fukujiro, vice-président de la Chambre japonaise, avait même précisé que l’Indonésie, le Vietnam et Singapour étaient désormais plus attractifs aux yeux des investisseurs nippons. La Chambre de commerce thaïlandaise, la Fédération des industries et le secteur bancaire avaient alors choisi de faire pression sur le gouvernement pour accélérer le processus de résolution du conflit. Aujourd’hui, l’orage est passé, si l’on en croit le président de la Chambre de commerce thaïlandaise : « Toshiba a annoncé début septembre que le groupe investirait 10,252 millions de bahts supplémentaires (256 300 euros environ), pour étendre ses capacités de production de disques durs dans la province de Pratumtani [banlieue de Bangkok, ndlr] ». Canon prévoit aussi d’ouvrir en octobre 2011 une seconde usine de production d’imprimantes, qui devrait employer quelque 5 000 personnes.

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