L’Espagne d’aujourd’hui, de Nacima Baron-Yellès

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Dans son nouvel ouvrage, Nacima Baron-Yellès, spécialiste de l’Espagne, s’intéresse à la période faste de 1994-2008, puis aux raisons de la crise actuelle. Selon elle, les entreprises espagnoles doivent s’internationaliser davantage.

Commerce International : Le gouvernement de José Luis Zapatero a lancé des réformes pour contrer la crise. Mais le contexte politique et social semble tendu…
Nacima Baron-Yellès : « Au printemps dernier, les instances internationales avaient un gros doute sur la solvabilité des banques espagnoles et du système financier dans son ensemble. Elles ont poussé le pays à mettre en œuvre des réformes urgentes, voire brutales, dans le domaine des retraites et du marché du travail. Les annonces du gouvernement se multipliaient, pour être démenties quelques jours après. Il a notamment lancé le report à 67 ans de l’âge légal de la retraite, finalement remis à plus tard. Mais depuis le mois de juin, on assiste à une relative stabilisation du jeu politique, attribuable au succès des stress tests sur les banques. D’autres réformes d’ajustement économique et budgétaire, comme celle sur la baisse des salaires des fonctionnaires et le gel de leurs retraites, sont ainsi actées. »

La question démographique préoccupe également…
N. B.-Y. : « Oui, car l’Espagne est un pays qui vieillit vite (en 2025, 22 % des Espagnols auront plus de 65 ans, ndlr). La question des retraites ne peut être dissociée de ce problème global. Le gouvernement réfléchit à de nouveaux outils, dans le cadre de la loi en faveur de la dépendance (adoptée en 2006, ndlr). Il cherche à impliquer les communautés autonomes dans la démarche, puisqu’elles ont la responsabilité du secteur social dans son ensemble (allocations chômage, famille, maladie…). Pour des raisons différentes d’un territoire à un autre, les communautés font de plus en plus appel au secteur privé pour répondre aux besoins sanitaires des personnes âgées. »

 

Quelle est la situation financière de l’Espagne aujourd’hui ?
N. B.-Y. : « L’évaluation de l’impact du crash immobilier sur le système bancaire et financier a été évaluée (à hauteur de 150 milliards d’euros environ, définitivement perdus), ce qui a au moins permis de sortir des fantasmes et de périmétrer le problème. Pour autant, les banques ne prêtent pas davantage aux entrepreneurs qu’au début de la crise. La consommation n’est pas relancée non plus, car les ménages demeurent inquiets (selon les chiffres officiels, le chômage atteint toujours 20 %, voire 40 % dans certaines régions). L’Espagne ne connaîtra probablement pas les mêmes niveaux de consommation que précédemment, mais c’est une bonne nouvelle. »

 

Dans quel sens ?
N. B.-Y. : « Le pays consommait à crédit et en important, et a donc creusé ses balances dans les dix dernières années. La baisse des achats des ménages espagnols, concentrés sur l’épargne, va contraindre les entreprises à se montrer plus offensives à l’international, tous secteurs confondus. Le marché européen demeure prioritaire, en particulier dans les secteurs agricole et touristique. D’autres marchés s’inscrivent dans une démarche de conquête ou de reconquête, respectivement les États-Unis et l’Amérique du Sud. »

 

Le corridor méditerranéen fait-il l’objet d’une attention particulière de la part des communautés autonomes ?
N. B.-Y. : « Certaines, comme Valence et l’Andalousie, commencent à s’activer sur ce terrain. Il faut d’abord envisager le corridor comme un réseau urbain, allant de Rabat (avec l’axe du train à grande vitesse Rabat-Tanger) à Naples. Pour l’heure, il est plutôt fragmenté, avec de gros projets d’un côté (le port Tanger Med par exemple) et une absence d’implication de beaucoup de territoires de l’autre, y compris en Espagne. Mais j’observe une nouvelle recherche de points d’appui, particulièrement en Catalogne. La communauté a compris qu’elle devait s’inscrire dans une logique de réseau – la révolution des trains à grande vitesse en Espagne y est pour beaucoup – en collaborant avec Valence et l’Andalousie. Autre évolution : l’émergence des villes secondaires, comme Alicante, Castellón et Almería. Elles connaissent un renforcement remarquable de leur potentiel industriel, urbanistique et d’équipement – le même phénomène s’observe d’ailleurs en France avec Ajaccio, et, demain, avec Béziers, Narbonne et Toulon (qui n’appartiennent pas au corridor, ndlr). À terme, elles souhaitent participer à la construction du corridor du côté espagnol. Il faudra pour cela aller vers davantage de décentralisation et vers un modèle politique qui donne moins d’importance à Madrid. »

 

Où en est le renouvellement des statuts autonomiques ?
N. B.-Y. : « Le feuilleton s’est enfin achevé cet été, après presque quatre ans de procédures. La plus haute juridiction de l’État a fini par rendre un avis qui invalide une portion relativement modérée des articles du statut catalan (portant notamment sur la notion de nation catalane). On assiste à une fin de cycle politique, à l’échelle fédérale et régionale. Les élections catalanes se tiendront le 28 novembre et seront observées avec une très grande attention par le gouvernement. Son poids économique et politique en fait l’un des piliers du pouvoir fédéral, qui ne peut se permettre de le voir changer de camp. »

 

L’Espagne aujourd’hui
De Nacima Baron-Yellès, Éditions De Boeck (juillet 2010), 168 pages, 12 €

 

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