Le Pérou mise sur la vente de crédits carbone

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Au Pérou, la taxe carbone n’a pas lieu d’exister. En revanche, « le marché du carbone représente une immense opportunité économique », selon le ministre péruvien de l’Environnement. Des projets de séquestration de carbone, d’énergie propre et de déforestation évitée ont vu le jour en quelques années. Ces initiatives séduisent les grandes entreprises pollueuses.

Les paysages qui se succèdent le long du fleuve Huallaga, au cœur de la forêt amazonienne, dans l’est du Pérou, parlent d’eux-mêmes. Les bois verts aux mille lianes font parfois violemment place à des zones entières de terre noircie par les flammes brûlée par les habitants en quête d’un terrain agricole qu’ils dédieront aux champs de riz ou de maïs. « De nombreux agriculteurs coupent les arbres et brûlent la terre car ils ne savent pas que l’on peut avoir de bonnes plantations sans cela », explique Tristan Lecomte, un Français de 36 ans qui connaît très bien la région.

 

Son entreprise Pur Projet – un collectif de lutte contre le réchauffement climatique formé d’experts internationaux – travaille en collaboration avec les 1 600 producteurs de cacao biologique de la zone qui font partie de la coopérative agricole et cacaotière de Juanjui (Acopagro), dans la région de San Martin. Ensemble, ils ont décidé de reboiser la vallée de l’Alto Huayabamba à travers un projet en partie financé par Nestlé. « Nestlé Waters France, par le biais de sa marque d’eau Vittel, finance l’achat de 350 000 arbres en 2010 », précise Tristan Lecomte. Ces arbres seront plantés au Pérou, mais aussi en Bolivie où Pur Projet mène un projet similaire. Son but ? Diminuer la déforestation qui représente, selon les Nations unies, 20 % des gaz à effet de serre dans le monde, et participer au reboisement des terres abîmées.

 

Au total, Vittel a investi 400 000 euros dans ce programme de reforestation. Avec ces fonds, Pur Projet achète les arbres qui vont être semés par les producteurs dont les parcelles ont été inscrites sur un registre précis. Pour planter et s’occuper de l’arbre pendant trois ans, les membres d’Acopagro reçoivent la somme d’un sol (0,25 euro) par plant, importante pour les habitants de la région.

 

Pur Projet s’occupe en parallèle de faire les démarches pour que les terres reboisées soient reconnues par les Nations unies comme un projet de séquestration de dioxyde de carbone dans le cadre des « Mécanismes de développement propre » (MDP). Une fois le projet certifié, l’ONU donnera aux producteurs de la région le droit de commercialiser des unités de droit d’émission de gaz à effet de serre (GES), plus connues sous le nom de « crédit carbone ».

 

Mis en place par le protocole de Kyoto en 2007, ces crédits sont échangeables sur le marché volontaire du carbone, une sorte de bourse internationale qui permet aux entreprises ou aux pays de compenser leurs émissions polluantes de dioxyde de carbone en achetant ces « crédits » proposés par des projets d’énergie propre, de reforestation ou autres certifiés par l’ONU. Chaque unité de droit d’émission de GES correspondant à l’émission d’une tonne de dioxyde de carbone (CO2). Quand une entreprise achète une de ces unités, elle achète le droit à polluer une tonne de CO2. Ces mécanismes d’échange d’émission visent donc à ce que les pays les plus pollueurs puissent atteindre leurs objectifs en matière de réduction d’émission de CO2. En Europe, ces crédits sont échangés au BlueNext, une bourse spécialisée où le prix de la tonne de CO2 avoisinait les 12 euros en mars 2010.

 

Dans le cadre du projet financé par Nestlé, les 350 000 arbres ont une capacité de séquestration de 115 000 tonnes de carbone, ce qui correspond aux émissions de carbone émises en France et en Belgique par la fabrication de bouteilles Vittel. En finançant le projet péruvien, les gains de Nestlé Waters sont donc doubles : d’une part, l’entreprise « verdit » son image en reboisant l’Amazonie considérée comme le poumon du monde, d’autre part elle assure pouvoir dans quelques années compenser les émissions de CO2 émises par Vittel en rachetant les crédits de carbone issus du projet.

 

Pour Tristan Lecomte, le programme bénéficie à tous ses protagonistes. « L’investissement de Vittel est une participation massive grâce à laquelle on va pouvoir reboiser 700 hectares de la vallée », insiste le jeune homme, qui espère que « d’autres grandes entreprises viennent participer à ce projet pour faire en sorte que cela profite davantage aux producteurs. » L’entreprise Pur Projet pourra, elle, commercialiser les crédits carbone que lui ont cédés, par contrat, les producteurs d’Acopagro. Un accord qui, selon le Français, convient aux habitants qui évitent ainsi les intermédiaires : « Il faut savoir que sur le marché du carbone, sur 10 euros investis, 9 vont en général à la spéculation et 1 au projet. C’est pour cela que nous avons décidé avec Pur Projet de travailler directement avec les producteurs et les entreprises, ce qui permet de reverser entre 50 et 70 % des fonds reçus aux habitants. »

 

Les projets de séquestration de carbone, de déforestation évitée ou d’énergie propre sont de plus en plus nombreux au Pérou. Le pays est aujourd’hui considéré aujourd’hui par la célèbre revue Point carbon comme le 6e pays au monde le plus attrayant sur le marché du carbone. Les projets les plus gros sont souvent représentés par le Fonds national pour l’environnement (Fonam), l’entité du gouvernement chargé de promouvoir le marché du carbone, former et conseiller les personnes intéressées par cette opportunité. « À la foire internationale du carbone, Carbon Expo, qui aura lieu en mai à Cologne, en Allemagne, nous allons représenter 150 projets de carbone que nous avons dans notre portefeuille », souligne Julia Justo, la directrice du Fonam.

 

Rien que dans le secteur énergétique, qui concentre trois quarts des projets présentés par le Fonam, le Pérou offre une réduction de plus de 23 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an. « Qu’il s’agisse de déforestation évitée, de capture de carbone en plantations forestières (le cas de Pur Projet, ndlr) ou de réduction de dioxyde de carbone (énergie propre, ndlr), le marché du carbone représente une immense opportunité économique pour le pays », insiste le ministre péruvien de l’Environnement, Antonio Brack, qui rappelle qu’une loi est en cours d’approbation pour légiférer toutes les nouvelles activités générées par ce nouveau marché.

 

« Au Pérou, ces mécanismes d’échange sont déjà en train de fonctionner à travers plusieurs centrales hydroélectriques qui font de l’énergie propre, ne produisent pas de CO2 et vendent des crédits de carbone sur le marché », raconte encore le ministre. « Il y a aussi les plantations forestières comme l’entreprise des Bois amazoniens de Pucallpa, qui reboise 18 000 hectares et ont des crédits carbone payés par une institution anglaise », explique fièrement Antonio Brack. Un programme de conservation forestière qui concerne 55 millions d’hectares de bois primaires en Amazonie et sur le nord de la Côte pacifique, et qui pourrait aussi rapporter des crédits de carbone au Pérou, comme pays. Les projets représentés par le Fonam pourraient vendre des crédits carbone à hauteur de 8 milliards de dollars, soit 5,9 milliards d’euros : un poste d’investissement qui se rapprocherait des investissements miniers, principal moteur actuel du pays.

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