Commerce International : Quelles sont les principales « doléances » des entreprises françaises présentes au Brésil que vous êtes amené à rencontrer ? En somme, quelles sont leurs préoccupations actuelles et que leur conseillez-vous ?
François Dossa, président de la section Brésil des CCEF : « Les interrogations et les recommandations diffèrent selon que les entrepreneurs envisagent d’aborder ce pays sous l’angle commercial ou bien qu’ils décident de s’y implanter à long terme par le biais des investissements. Richement doté en ressources naturelles, le Brésil offre les atouts d’une puissance agricole de tout premier plan. Mais elle est également une grande nation industrielle pouvant se prévaloir d’attirer nombre d’industriels français dans pratiquement tous les secteurs. De fait, le Brésil s’efforce de devenir une terre d’accueil des investissements étrangers afin de constituer de véritables pôles de compétitivité dans son économie nationale. Cependant, le Brésil pâtit d’un certain nombre de handicaps propres à la plupart des pays en développement. Les facteurs pénalisants ont essentiellement partie liée avec le coût prohibitif du crédit et la volatilité des taux d’intérêt qui déstabilisent les entreprises. À cela viennent s’ajouter les droits de douane qui peuvent dans certains cas obérer les échanges commerciaux. Le poids de la bureaucratie et la déficience des infrastructures, notamment routières et portuaires, sont également allégués dans le “ coût Brésil ”. Néanmoins, celui-ci doit être relativisé en matière de fiscalité. La dernière réforme mise en place par le gouvernement Lula tend à simplifier les mesures. N’oublions pas que le Brésil est un pays à structure fédérale (27 États) et que le système fiscal diffère d’un État à un autre. La lourdeur des charges sociales doit également être minorée au regard de la réalité économique du pays et de ses disparités régionales en matière de réglementation. Les lois diffèrent d’un pays à un autre et, comme dans tout pays émergent, il est important d’en prendre acte avant d’envisager une im-plantation d’entreprise. Développer ses affaires au Brésil requiert un travail intense de veille et de connaissance des possibilités sectorielles locales. »
C.I.: Comment la CCEF envisage-t-elle l’attractivité du Brésil, pays immense, complexe et en proie à une grande vulnérabilité financière ?
F.D.: « Le Brésil donne souvent l’impression d’un pays qui passe sans prévenir de l’euphorie à la dépression avec des tendances financières qui s’inversent, laissant perplexes les investisseurs étrangers. Pourtant, force est de constater que la plupart des grandes entreprises multinationales y sont présentes. Le pays bénéficie d’un potentiel de production considérable. Manifestement, les entrepreneurs français viennent investir au Brésil pour vendre sur le marché intérieur (qui compte 182 millions d’habitants) ou pour se constituer un pôle d’exportation vers d’autres pays. Autre avantage comparatif du Brésil : le coût de la main-d’œuvre demeure raisonnable. Le gouvernement actuel vise à favoriser la reprise de l’investissement et à enrayer les blocages structurels pour favoriser la croissance. À l’heure d’aujourd’hui, celle-ci connaît une forte embellie avec un taux de 4,5 %, ce qui laisse à penser que le pays entend tenir ses engagements pour relancer son économie. Le solde commercial met au jour les atouts compétitifs du Brésil en matière d’exportations. De fait, nation fortement exportatrice, le pays se positionne en tant que 6e excédent commercial au monde. Cela stabilise les comptes de la nation. Autre constat : le secteur “ agro-business ” (agroalimentaire) est au beau fixe. De manière générale, on observe un regain d’activité dans la quasi-totalité des secteurs éco-nomiques, notamment dans la sidérurgie, l’acier et l’aéronautique. Ces domaines, associés au marché intérieur, à la distribution et aux transports, “ tirent ” la croissance. À cela s’ajoutent les mesures prises par le gouvernement brésilien pour baisser la fiscalité à l’exportation. Les entreprises pour-ront donc jouir de facteurs macroéconomiques favorables.»
C.I.: Le degré d’ouverture de l’économie brésilienne n’est qu’à peine 14 % du PIB et les droits de douane demeurent avec leurs nombreux pics tarifaires sectoriels. Comment le Brésil peut-il inciter les investissements étrangers dans son économie nationale ?
F.D.: « Les investissements étrangers s’élèvent pour l’année 2004 à 12 milliards de dollars américains (soit 9,5 milliards d’euros). Cela reste insuffisant. La vigueur croissante des autres pays émergents comme la Chine est perçue de plus en plus nettement. Pour promouvoir les investissements étrangers, le Brésil doit stabiliser sa monnaie et maîtriser la gestion de sa dette interne et externe. Il doit faire montre de sa capacité à mettre en place un environnement juridique et réglementaire sécurisant pour les investissements. Le pays doit mettre en valeur ses atouts et rassurer sur les conditions d’une croissance dynamique et à long terme, cela quel que soit l’environnement politique de son économie. Le Brésil a montré, avec le gouvernement Lula, une maturité politique qui tient compte de la réalité des fondamentaux de l’économie. En 2006, un nouveau mandat présidentiel aura lieu. Que ce soit avec le Parti des travailleurs ou le camp adverse, le Brésil entend mettre fin à sa quête de crédibilité internationale et montrer qu’il n’y aura pas de changements brusques en perspective. Il a acquis une lisibilité et une prévisibilité plus grandes que par le passé. Pour les investisseurs étrangers, le Brésil devient une nation à fort potentiel. Leur disposition à s’y implanter ou à y exporter dépendra en partie du dynamisme de son marché interne et du Mercosur (Marché commun du Cône Sud comprenant l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay). Ce dernier constitue une véritable intégration régionale et prévaut de plus en plus en matière de liens économiques.»
C.I.: Selon vous, quelles sont les conditions d’une bonne réussite d’implantation au Brésil ?
F.D.: «Il est recommandé aux entreprises de disposer de ressources propres qui puissent couvrir l’investissement initial et le fonds de roulement. En tout état de cause, il convient de n’investir qu’en mesurant tous les risques, surtout pour les PME. Il est primordial de bien se préparer en amont et de comprendre les spécificités du marché. Il n’existe pas de recettes de réussite d’implantation. Pour difficile qu’il soit, le marché brésilien n’est pas inaccessible. Seulement, il est important de participer à des salons professionnels et de faire appel à des structures d’appui locales pour cerner les difficultés administr-atives et identifier des partenaires fiables et solides.