En Californie, un nouveau statut pour protéger les entreprises des actionnaires

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D.R.
Baptisée Flexible Purpose Corporation, ce nouveau type d’entreprise permet aux dirigeants de se donner des objectifs tant financiers que non financiers sans risquer d’être poursuivis par des actionnaires. De quoi favoriser le développement du « social entrepreneurship ».

 
Début septembre, les autorités législatives de la Californie, aux États-Unis, ont adopté le Corporate Flexibility Act of 2011 (SB 201), une loi créant une nouvelle forme d’entreprise (corporate entity) : la Flexible Purpose Corporation (FPC). Jusqu’à présent, il existait deux types de sociétés en Californie : les entreprises à but lucratif (for-profit business) et les associations à but non lucratif (tax-exempt non-profit).

Problème : certaines associations génèrent des revenus. Pour conserver leur statut d’association, qui leur permet de bénéficier d’une exonération d’impôts, leurs dirigeants sont sans cesse obligés de s’assurer que leurs revenus ne dépassent pas certains seuils. La situation n’est pas moins compliquée pour les entreprises. Car le droit des sociétés (corporate law) considère que leurs dirigeants ont pour unique devoir de maximiser la valeur actionnariale de leur entreprise. Chacune de leurs décisions doit donc viser à faire augmenter le prix de l’action. Qu’un dirigeant fasse un choix susceptible de faire baisser la valeur actionnariale de son entreprise, et il prend le risque d’être poursuivi par ses actionnaires.

« Les codes de gouvernance font référence aux seules obligations (fiduciary duties) des dirigeants vis-à-vis des actionnaires, explique Armand Hatchuel, professeur et directeur-adjoint du Centre de gestion scientifique de l’École des Mines ParisTech (ex-École des Mines), qui suit notamment ces questions dans le cadre de sa participation à un programme de recherche du Collège des Bernardins(1). Dans ces conditions, un chef d’entreprise qui opte pour l’énergie solaire alors qu’elle est plus coûteuse ou qui préfère dégrader ses profits plutôt que de licencier peut être attaqué par un groupe d’actionnaires. Autre souci : en cas d’OPA avec deux repreneurs, le dirigeant n’a pas d’autre choix que de vendre au plus offrant, même si celui-ci prévient de son intention d’abandonner les engagements pris précédemment en matière sociale ou environnementale. »

C’est pour résoudre ces difficultés que des juristes spécialisés en responsabilité environnementale, en finance éthique et en entrepreneuriat social se sont donc lancés dans la rédaction d’un nouveau texte créant la Flexible Purpose Corporation (FPC). Objectif : créer une structure légale permettant aux chefs d’entreprises de ne plus viser le seul profit sans prendre le risque d’être poursuivis. La FPC permet ainsi aux dirigeants de choisir un ou plusieurs objectifs non financiers (special purposes) qui feront partie intégrante de la mission de l’entreprise. Parmi ceux-ci, figurent tout objectif qu’une structure à but non lucratif est susceptible de se donner, ainsi que tout objectif susceptible d’avoir un impact positif sur les salariés, les fournisseurs, les consommateurs et les investisseurs, ou bien sur la communauté et la société, ou encore sur l’environnement.

La loi exige que ces objectifs soient explicités dans les statuts de l’entreprise et approuvés par les actionnaires à la majorité des deux-tiers. À la fin de chaque année fiscale, la FPC doit, en outre, rendre un rapport détaillant les objectifs (special purposes) qu’elle s’est assignés, les actions menées pour les atteindre, la définition des moyens de mesure pour les évaluer, les prochaines actions envisagées ainsi que l’investissement financier nécessaire pour les mener. La loi prévoit, enfin, que les entreprises existantes pourront, moyennant approbation de la transaction par les actionnaires à une majorité des deux-tiers, adopter le statut de FPC. Elle est à présent soumise à l’approbation du gouverneur, qui peut lui opposer son veto.

« Deux initiatives visant à faire évoluer le droit des sociétés ont déjà été prises dans d’autres États, rappelle Armand Hatchuel. Lorsqu’il était gouverneur, Arnold Schwarzenegger s’était déjà opposé à l’introduction de l’une d’elles, la B Corporation, en Californie. Mais la FPC est une initiative californienne dont le texte, très détaillé, renouvelle véritablement le droit de l’entreprise à l’heure où l’organisation actionnariale des entreprises montre ses limites ».

NOTE:

(1) à Paris, le Collège des Bernardins a organisé, en avril 2011, un colloque consacré à la crise de l’entreprise, dont il est ressorti, entre autres choses, que les responsabilités nouvelles des entreprises sont peu compatibles avec un droit des sociétés vieux de plus de 150 ans et qui n’a pu arrêter la dérive actionnariale et financière actuelle.

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