Grande distribution: quels magasins pour le Japon ?

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Avec une population de 127 millions d’habitants, le Japon représente pour bon nombre d’entreprises occidentales un potentiel énorme avec ce vivier de consommateurs que l’on sait néanmoins si difficile à atteindre. Les exemples de réussite au pays du Soleil-Levant sont probablement aussi retentissants que les échecs. C’est pourquoi l’intérêt de suivre des formations pour appréhender correctement le pays, à l’instar de celles organisées par le Centre UE-Japon pour la coopération industrielle (lire page 72), s’impose dans la plupart des cas. D’abord faut-il connaître son marché de la distribution, souvent déroutant pour les sociétés européennes. La grande distribution japonaise, deuxième au monde après les États-Unis en termes de chiffre d’affaires, connaît par ailleurs de fortes mutations.

 

Bouleversée par quinze ans de crise économique, elle semble s’engager vers de meilleures perspectives grâce, notamment, aux fusions-acquisitions. Ce sont, en outre, les réseaux de distribution qui se transforment. Les détaillants diminuent au profit des surfaces moyennes, ressemblant aux concepts européens du même nom. Le profit étant devenu une priorité, le modèle traditionnel japonais (fabricant, grossiste, détaillant, consommateur) tend à disparaître pour laisser place à des schémas plus directs. C’est ainsi tout l’enjeu de la logistique qui apparaît. Enfin, rien ne sert de s’engager au Japon sans comprendre le consommateur. La société japonaise est en effet, elle aussi, en pleine évolution. Population vieillissante qui compte de plus en plus de célibataires et de femmes actives, les consommateurs nippons glissent lentement mais, sûrement, vers l’individualisme.

 

« Depatô, GMS et Combini »

Les acteurs de la distribution au Japon s’organisent en trois typologies principales. D’abord les grands magasins ou department stores (Depatô). Dans ces surfaces commerciales de 25 000 m2 en moyenne , mais pouvant dépasser les 50 000 m2, on trouve des biens et des services haut de gamme pour une clientèle exigeante. Généralement, les Depatô sont conçus sur plusieurs étages. Chaque niveau, du sous-sol jusqu’au toit, est ainsi spécialisé dans une gamme de produits précis. Millenium Retailing, J-Front Retailing, Isetan-Mitsukoshi Holdings et H20 Retailing sont les quatre groupes qui résultent de la dernière vague de concentrations. En 2007, ils étaient encore huit. Grâce à ces fusions-acquisitions successives destinées à enrayer la crise, le déclin futur du secteur est moins probable. Avec des surfaces de vente un peu plus petites (supérieure à 1 500 m2), les General Merchandises Stores ou GMS a largement bénéficié de la réforme de la loi sur les grandes surfaces (LRSLL). Cette dernière, entrée en vigueur le 1er juin 2000, a permis un assouplissement des procédures d’ouverture de grandes surfaces.

 

Des enseignes étrangères, comme Carrefour, ont pu précipiter l’ouverture d’hypermarchés. D’autres comme l’Américain Wal-Mart se sont appuyé sur des groupes locaux, en rachetant Seiyu, et l’Allemand Metro C&C s’est, de son côté, allié avec Marubeni. Toutefois, le secteur des GMS connaît des progressions très variées. L’ancien leader Daiei est ainsi en pleine restructuration et se sépare de ses activités hors alimentation, alors que Aeon, en pleine croissance, s’est offert les huit magasins Carrefour du pays en 2005 et a créé une nouvelle chaîne de supermarchés en zone urbaine. Pour redynamiser le secteur, les GMS s’essayent par ailleurs à de nouveaux concepts comme, dernièrement, en créant leur propre marque. Modèles les plus performants de la distribution, les conveniences stores ou Combini constituent les nouveaux relais de croissance. Gérés par des grands groupes à l’instar de Seven & I (Seven Eleven) ou Aeon (Mini Shop), ces magasins de proximité bénéficient des circuits de distribution de leur maison mère. On compte près de 40 500 conveniences stores sur l’archipel proposant des produits alimentaires, cosmétiques, de la presse et papeterie. Bien que la part de produits importés soit encore faible dans leurs chiffres d’affaires, il n’en demeure pas moins que ces lieux indissociables du mode de vie japonais devraient être une cible prioritaire pour les fabricants occidentaux.

 

Laboratoire mondial du luxe

40 % des produits de luxe vendus dans le monde sont achetés par des consommateurs japonais. L’engouement nippon pour le haut de gamme et les biens de très haute qualité a poussé les fabricants étrangers à investir dans la R&D sur l’archipel afin d’affiner leur offre sur place. Les exigences des consommateurs japonais sont tels que les produits développés deviennent souvent des références pour le reste du monde. Les marques de luxe occidentales ont ouvert beaucoup de magasins dans le pays et elles enregistrent des ventes croissantes chaque année. Les efforts portés sur les produits en termes de qualité et de marketing sont véritablement les clés du succès vis-à-vis des consommateurs nippons. Selon une étude de 2002, 94 % des femmes de 20 ans vivant à Tokyo possédaient un produit Louis Vuitton, 92 % un produit Gucci et 58 % un produit Prada.

 

Le meuble en kit face aux samouraï

Alors que l’habitat des Japonais est indiscutablement étroit et de petite taille, d’aucuns ont fait le pari de capitaliser sur le potentiel du marché de l’ameublement. C’est le cas d’Ikea, qui a pris la décision d’entrer sur le marché japonais en 2001. La société suédoise dispose déjà de 5 magasins de 40 000 m2 chacun, en prévoit au total 6 dans l’agglomération de Tokyo, et autant dans la région du Kansai. Il est vrai que le secteur de l’aménagement connaît sur l’archipel une nette expansion. Plus que de simples produits, les consommateurs viennent chercher dans ces magasins des solutions d’aménagement et des conseils personnalisés afin, notamment, d’optimiser les espaces de la maison, traditionnellement très réduits. Aidé par la mutation des habitudes consuméristes, le développement des meubles en kit s’octroie quelques parts de marché supplémentaires. Néanmoins, les mobiliers modernes proposés par la grande distribution sont-ils vraiment en accord avec les exigences qualitatives des Japonais ? Le géant Ikea souhaite y croire à condition, dans un premier temps, de gagner la confiance des consommateurs. C’est à cet unique prérequis que l’important investissement du leader du mobilier en kit sera pérenne.

 

L’échec pourrait être cuisant, d’autant que les Japonais ne sont pas familiers du bricolage et du montage de fournitures d’intérieur. Ikea veut tout de même croire que les designs scandinaves et nippons ne sont pas si éloignés et, surtout, que l’individualisme naissant chez les consommateurs autant que la conjoncture économique suscitera l’intérêt d’une population moyenne ne pouvant pas se permettre d’acheter du mobilier de luxe. Par le biais de lourdes campagnes de « buzz marketing », très efficaces au Japon, déployées dans un rayon de 15 kilomètres autour des nouveaux magasins, Ikea a sans doute marqué des points auprès du public. Pour l’ouverture de son premier espace de vente, la société avait converti une rue entière dans le quartier du shopping de Tokyo en exposition à ciel ouvert. 14 pièces étaient reconstituées, chacune de la taille de 4 à 6 tatamis ! Préférant donner aux consommateurs une expérience suédoise, et parce que le concept d’Ikea ne saurait être bouleversé, la marque souhaite passer en force avec les mêmes niveaux de standardisation qu’en Occident. La solidité du modèle Ikea résistera-t-elle vraiment aux samouraïs ?

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