L’euro, cible de la « guerre des changes »

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Le marché des changes est en passe de devenir un nouveau champ de bataille.

L’Europe semble impuissante face à l’envolée de l’euro. Jeudi 14 octobre, la monnaie unique a franchi brièvement la barre de 1,41 dollar, au plus haut depuis 9 mois. Depuis le point bas touché en juin à 1,18 dollar, en pleine crise des dettes souveraines, la monnaie unique s’est appréciée de 18 % par rapport au billet vert.
En hausse face à presque toutes les devises, elle semble être devenue la victime de la « guerre des changes » évoquée pour la première fin septembre par le ministre brésilien des Finances, Guido Mantega. Sur un mois, l’euro a progressé de 9 % par rapport au dollar, mais aussi de 10 % vis-à-vis du yuan chinois. « L’euro supporte une part disproportionnée de l’ajus-tement des taux de change dans le monde », estime le porte-parole de la Commission pour les Affaires économiques et monétaires, Amadeu Altafaj. « Cela pourrait affecter la reprise, les exportations », redoute-t-il.
Pour Patrick Artus, directeur de la recherche de la banque française Natixis, la parité du pouvoir d’achat situe l’euro à 1,15-1,20 dollar, soit 20 % au-dessous des cours actuels. Or, certains économistes anticipent l’euro à 1,50 dollar d’ici la fin de l’année. à ce niveau-là, prévient Patrick Artus, « on ne peut maintenir une production industrielle rentable dans la zone euro ». Ainsi, Louis Gallois, patron d’Airbus, a déclaré que, au-dessus de 1,50 dollar, il était très difficile de fabriquer Airbus en zone euro. Avec l’appréciation de la monnaie au cours des deux derniers mois, la zone euro vient de perdre 5 ans de gains de productivité, regrette Patrick Artus.
Cette dangereuse situation ne semble pas émouvoir Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, qui refuse de s’exprimer explicitement sur le niveau de la monnaie unique. Essentiellement attachée à la stabilité des prix, la BCE n’a pas mandat pour intervenir sur le marché des changes. Elle ne l’a fait qu’une fois, en 2000, quand l’euro avait atteint son plus bas historique. « L’institut d’émission reste très clairement en retrait sur ces questions et on imagine mal qu’il s’en saisisse vraiment à moins d’un euro montant jusqu’à 1,55 voire 1,60 dollar », estime Natacha Valla, chef économiste chez Goldman Sachs à Paris.
La devise européenne semble donc condamnée à s’apprécier en l’absence de mesure concrète en Europe. Dans cette perspective, le directeur général du FMI, Dominique Stauss-Kahn, a mis en garde les pays tentés par l’utilisation de la faiblesse de leur monnaie comme arme économique en soulignant qu’une telle politique pourrait compromettre la reprise économique.
Les investisseurs s’attendent à ce que la Banque centrale américaine annonce avant la fin de l’année de nouvelles mesures de soutien à l’économie qui pourraient affaiblir encore le dollar. De son côté, la Chine a poliment refusé de laisser le yuan s’apprécier plus rapidement. Fort de ce constat, le Brésil a doublé la taxation des achats d’obligations d’État par les investisseurs étrangers dans le but de freiner les flux de capitaux vers ses marchés qui font monter sa monnaie, le real. à quand une réaction similaire des autorités européennes ?

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