Mounir Mouakhar préside la Chambre de commerce et d’industrie de Tunis depuis quatre ans. Cet homme d’affaires exerçant dans le commerce international revient sur le contexte de renouveau que connaît la Tunisie et les défis qu’elle doit relever aujourd’hui.
Commerce International: Quel est l’objectif du salon Medindustrie qui s’est tenu pour sa première édition du 15 au 17 juin?
Mounir Mouakhar: « Il s’agit d’un rendez-vous très important que nous avons organisé aux côtés de nombreux organismes d’appui à l’entreprise, comme l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation, l’Utucia qui représente le patronat tunisien, l’Ascame (Association es chambres de commerce et d’industrie de méditerranée), la Fipa (Foreign investment promotion agency). Ce rendez-vous s’est tenu en même temps qu’un forum intitulé Tunisia Investiment Forum, un autre événement qui permet la découverte des opportunités d’investissement en Tunisie. Cette première édition du salon présente, bien sûr, un intérêt particulier dans les circonstances économiques actuelles. La compétitivité des secteurs et entreprises reste l’élément majeur du développement du marché local, de l’exportation et de l’innovation. Nous espéronsla soutenir encore mieux par le biais de ces nouvelles opérations. »
De nombreux dirigeants européens étaient présents. Souhaitez-vous avant tout créer de nouveaux partenariats?
M. M.: « Oui. Nous espérons conclure de nouveaux rapprochements, aussi bien tuniso-tunisiens que tuniso-étrangers. L’objectif est de promouvoir le développement des échanges, faire connaître nos potentiels en gestation et améliorer la compétitivité. C’est aussi par ce type d’attitude que nous devons investir dans la démocratie. »
Quels sont les principaux secteurs d’activité tunisiens qui doivent être stimulés aujourd’hui?
M. M.: « Le tourisme été très affecté par la récente révolution. C’est une activité essentielle pour le pays qui emploie de la main-d’œuvre directe et indirecte, et qui fait travailler toutes les composantes de l’économie. L’industrie, le commerce, l’agriculture, l’artisanat et les services fonctionnent en grande partie grâce au tourisme. À ce titre, la CCI doit s’impliquer pour veiller au bien-être du secteur. En relançant le tourisme, nous relançons mécaniquement la dynamique du pays. Nous avons une industrie technologique naissante et très prometteuse qui a grandement besoin de soutien. La Tunisie aspire à développer ses activités à haute valeur ajoutée et innovantes. Elles peuvent se positionner sur le marché local et étranger. Le soutien des emplois qualifiés fait donc aussi partie des priorités dans le processus de reconstruction de l’État. »
L’Assemblée des régions d’Europe s’est récemment rapprochée du ministère tunisien du Développement régional. Quelles sont les nouvelles collaborations qui peuvent en découler?
M. M.: « Le ministère du Développement régional est dans une phase transitoire. Il existe un déséquilibre important à l’échelle locale. Près de 80% des investissements réalisés par le passé concernent la zone côtière, faisant de l’intérieur du pays un territoire laissé pour compte. Le ministère cherche de nouvelles solutions pour rendre la dynamique économique plus homogène. Il se montre désormais à l’écoute de l’Assemblée des régions qui lui apporte des idées et fera prochainement des propositions auprès du gouvernement provisoire pour répondre à ce problème. Les différentes régions tunisiennes regorgent de jeunes diplômés capables de mettre sur pied leurs propres projets, mais ils ont été oubliés pendant de longues années. Il faut développer les infrastructures et les soutiens à l’entrepreneuriat pour faire en sorte que les potentiels puissent s’exprimer et devenir des atouts locaux. »
Y a-t-il d’autres projets de coopération en cours avec des chambres de commerce étrangères?
M. M.: « Entre Tunis et Marseille, les collaborations sont très anciennes. Nous avons également des relations très suivies avec les Chambres de Paris, Lyon, Nancy et d’autres encore. Le nouvel élan démocratique de la Tunisie ne fera que renforcer ces liens. Nous sommes de plus en plus aux côtés de l’ASCAME, que nous avons présidée pendant 5 ans, afin de développer d’autres projets de coopération entre les pays méditerranéens, que ce soit à l’échelle bilatérale ou multilatérale. »
Quelle est la stratégie de la CCI de Tunis pour l’économie tunisienne de demain? Le but est-il d’adopter une ligne de conduite en concertation avec le gouvernement?
M. M.: « La collaboration avec le gouvernement est un aspect important pour déterminer les priorités. De nombreux développements sont par exemple établis actuellement pour la région du Grand Tunis, notamment en matière d’économie verte et dans le domaine énergétique. L’énergie solaire et l’énergie éolienne sont des axes de développement importants. Il faut agir de concert avec le gouvernement afin de renforcer l’accès des citoyens à ces énergies et à des prix raisonnables. Une autre priorité, pour nous et le gouvernement, concerne l’essor de l’économie numérique. Le pays dispose d’un capital humain formé et connaisseur en termes de nouvelles technologies. Le défi est de faire en sorte que notre population puisse s’épanouir dans le cadre d’une Tunisie moderne, tournée vers l’avenir. »
Les relations que vous entretenez avec le gouvernement transitoire actuel différent-elles de celles que vous aviez avec le gouvernement précédent?
M. M.: « Dans ce domaine, il faut surtout rappeler que nous travaillons pour nos adhérents, dans le cadre d’une politique décidée en amont et de partenariats que le gouvernement peut mettre sur pied avec d’autres pays. Les relations doivent toujours rester étroites et constructives, car ce qui prime est l’essor économique. Nous travaillons pour l’intérêt du développement de la région quel que soit le type de gouvernement en place. Nous nous efforçons donc de garder de bons rapports en toute circonstance. Nous sommes une structure publique, gérée par des acteurs du privé. Ces deux sphères sont donc importantes dans notre quotidien. »
La CCI est-elle concernée par d’importantes restructurations ou demandes de restructuration?
M. M.: « Non, nous n’avons pas connu de bouleversements. La conséquence de la révolution a surtout été une présence renforcée aux côtés des entreprises. Nous les avons rapidement appelées à reprendre leurs activités. Nous étions présents pour apporter de l’assistance et répondre aux différentes questions et inquiétudes. Il était important que les entreprises comprennent la nécessité de se battre d’autant plus pour sauvegarder la compétitivité et l’emploi. Bon nombre d’entre elles ont déjà relevé la tête après quelques coups durs. »
Que faudrait-il faire pour retenir les migrants tunisiens qui quittent le pays vers l’Europe du Sud?
M. M.: « Le retour à l’emploi se présente comme une condition essentielle pour empêcher ce mouvement qui fait beaucoup de tort à notre pays. Pour cela, il faut générer de la croissance économique et faciliter le développement d’opportunités. La création d’entreprise est une autre alternative importante pour les jeunes actifs. Trop souvent, ils se voient refuser une idée ou un projet d’activité pour des raisons pratiques comme le manque de financements ou un accès trop lent aux financements, ou encore des infrastructures insatisfaisantes. Malheureusement, nous avons aujourd’hui quelque 700 000 chômeurs, ce qui signifie que ni le secteur public ni le secteur privé ne parviendront à résorber ce problème rapidement. C’est un travail de longue haleine. Les gouvernements à venir devront agir simultanément en faveur de l’emploi salarié et de la création d’entreprise. Les efforts passent par le maintien et l’augmentation de partenariats avec l’Europe, qui constitue un excellent client pour la Tunisie. L’amélioration du rapport qualité-prix de nos produits doit être un objectif permanent pour garder la confiance des marchés étrangers. »