Paul Ranjard est un avocat spécialiste des questions de propriété intellectuelle. Après dix années de pratique opposant de nombreuses sociétés occidentales à des contrefacteurs chinois, il préside aujourd’hui le groupe de travail sur la propriété intellectuelle de la Chambre de commerce européenne en Chine. Il revient sur le climat de défiance qui grandit à l’égard du géant asiatique.
Commerce International : Malgré d’importantes opportunités sectorielles, certaines entreprises européennes implantées en Chine ne se montrent pas forcément confiantes quant à leur essor à long terme sur le sol asiatique. Comment peut-on expliquer cela ?
Paul Ranjard : « La Chine est toujours un marché en forte croissance. Les investissements étrangers continuent d’affluer et il existe une multitude de bonnes raisons de se tourner vers l’incroyable potentiel de ce pays. Parmi les membres de la Chambre, la majorité des sociétés annoncent la poursuite de leurs investissements sur le sol du géant asiatique. Mais le contexte dans lequel évoluent les entreprises n’est pas forcément celui que l’on imagine en Europe. La transparence peine à être au rendez-vous et tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Il est difficile pour des Occidentaux de s’entourer des bons interlocuteurs, d’intégrer des réseaux intéressants. Nous constatons un sentiment de crainte croissant de la part des chefs d’entreprise, notamment par rapport à la criminalité économique et la contrefaçon. »
En septembre 2010, l’Union européenne a demandé à la Chine de s’engager plus concrètement en faveur de la protection de la propriété intellectuelle. La politique actuelle manque-t-elle de volontarisme ?
P. R. : « La Chine évolue en permanence en équilibre sur une ligne de démarcation entre, d’une part, la nécessité de tenir ses engagements à l’égard de l’OMC et de protéger ses produits nationaux, et d’autre part, la nécessité de maintenir une certaine harmonie sociale et de tendre la main aux partenaires étrangers. Lorsqu’elle est sous pression, comme c’était le cas récemment, elle déclare la mise en œuvre d’une campagne anti-contrefaçon, destinée à durer quelques mois. Au terme de périodes comme celle-là, le gouvernement brandit des statistiques flatteuses destinées à rassurer et à calmer l’opinion internationale, puis délaisse les mesures adoptées. La réponse, dans son principe, n’est pas satisfaisante, mais ne peut pas non plus être rejetée. Il faudrait mettre sur pied de nouvelles méthodes de lutte, d’ordre qualitatif, et ne pas se contenter de faire du chiffre ponctuellement. Il manque notamment des mesures juridiques adaptées, comme la facilité d’entamer des procédures en cas de contentieux. »
Seuls 3 % des investissements directs étrangers en Chine proviennent d’entreprises européennes. La contrefaçon et la mauvaise image de l’environnement des affaires expliquent-elles ce faible pourcentage ?
P. R. : « Si l’on en croit les multiples sondages et études réalisés sur ce sujet, il semble bien que la contrefaçon et le contexte général des affaires soient à l’origine de ce chiffre. Nous remarquons que les dirigeants sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur les conséquences néfastes de ces obstacles sur la rentabilité de leurs affaires, ce qui est bien sûr inquiétant. »
Quelles actions pour lutter contre la contrefaçon constituent des pistes intéressantes ?
P. R. : « Les solutions à développer sont d’ordre procédural. La Chine offre aujourd’hui une méthode d’action purement administrative et non pas juridique, en tenant des branches entières de son administration à la disposition des titulaires de droits de propriété intellectuelle pour effectuer des saisies et agir contre les contrefacteurs. Ce système a un défaut de taille : le titulaire est, dans ce cas, uniquement considéré comme un simple fournisseur d’informations portant sur les actes de contrefaçon. La procédure de contestation s’engage sans lui, d’où un manque évident de transparence. Une première mesure intéressante serait de considérer clairement que le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle, qui fait appel à l’administration chinoise pour intenter une action contre un contrefacteur, constitue une des parties de la procédure engagée, avec tous les droits qui en découlent (accès total au dossier, possibilité de recours…). Ceci n’est pas en vigueur à l’heure actuelle. Il en résulte une efficacité moindre des actions qui, en quelque sorte, restent à la discrétion des autorités compétentes. »
Parvenez-vous à nouer un dialogue satisfaisant avec les autorités chinoises et à les sensibiliser aux mesures à mettre en œuvre ?
P. R. : « La Chambre continue à chercher un dialogue permanent et toujours meilleur avec le gouvernement chinois. Depuis près d’un an, nous constatons une certaine amélioration des engagements des autorités du pays envers les entreprises étrangères. Ce renouveau du dialogue est le bienvenu et nous encourage dans nos démarches. Pourvu qu’il se prolonge dans le temps. »
La sensibilisation par la diffusion d’information en Europe sur les risques et précautions à prendre en matière de contrefaçon constituent-elles un point important ?
P. R. : « Oui. Il est essentiel d’informer les entreprises européennes sur les particularités du droit chinois de la propriété intellectuelle. C’est d’ailleurs le rôle du IPR Help Desk, un service qui fournit des avis pratiques sur mesure aux entreprises européennes actives sur le marché chinois. Les dirigeants peuvent y trouver des informations sur la gestion des droits de la propriété intellectuelle (licences, recherche et développement, vente et distribution…) et les moyens de les faire respecter. Il est encore trop fréquent de constater qu’une entreprise se lance sur le marché chinois sans prendre les précautions élémentaires. »
Quelles sont les actions de la Chambre européenne en Chine dans ce domaine ?
P. R. : « Nous accomplissons chaque année, par le biais de groupes de travail, un travail considérable de collecte de toutes les observations, analyses et recommandations de nos membres. Celles-ci sont regroupées et communiquées à la Commission européenne et remises aux autorités chinoises concernées. Cela aide à la réflexion et oriente les efforts de lobbying. »
Comment améliorer l’environnement des affaires ? Faut-il exiger une autre politique d’assainissement du système ?
P. R. : « La contrefaçon n’est pas seule concernée et l’on ne peut blâmer les autorités chinoises sur le fait qu’il existe des contrefacteurs. Mais dans cette lutte, la transparence est une notion clé. C’est une question de méthode. Il faut commencer par donner aux titulaires de droits les moyens d’agir directement, en étant présents et impliqués juridiquement dans toutes les procédures menées par l’administration. »
L’image de terre d’opportunités de la Chine est-elle en péril ?
P. R. : « Ce pays est une terre d’opportunités, mais aussi de risques. Toute décision stratégique en matière de commerce s’effectue en termes de calcul risque / bénéfice. Une grande partie du travail de la Chambre est de collaborer avec les autorités chinoises pour faire en sorte que l’équilibre opportunités/risques soit le même pour toutes les entreprises implantées en Chine, quelle que soit l’origine des investisseurs. »