Fort d’une expérience de plus de 30 ans dans l’énergie hydroélectrique à EDF, Jean Pierre Katz est un habitué du pilotage de grands projets à l’international, notamment en Asie. Entre 2007 et 2011, il était directeur général de la société NTPC (Nam Theun Power Company) qui exploite les installations de la centrale hydroélectrique de Nam Theun 2 (1 070 MW) au Laos. Depuis fin 2011, Jean Pierre Katz est directeur d’un programme visant à améliorer les performances industrielles de l’exploitation hydroélectrique du parc de production d’EDF en France. Conseiller au Commerce Extérieur, il fut vice-président de la CCI Laos. Jean Pierre Katz est chevalier de la Légion d’Honneur.
Commerce International : Quelles sont les spécificités de l’énergie hydroélectrique ?
Jean-Pierre Katz : « L’énergie hydroélectrique est la première des énergies renouvelables. Elle permet d’anticiper la production et ainsi de n’être que très peu soumis aux contraintes intermittentes qui rendent la production imprévisible. Cela facilite grandement la gestion du système électrique. Elle permet aussi de produire une électricité propre minimisant l’émission de CO2, un atout de taille face au défi du réchauffement climatique. L’autre caractéristique de l’énergie hydraulique est sa grande souplesse : ses ouvrages peuvent répondre aux besoins quotidiens en électricité mais aussi aux demandes de consommation ponctuelles, et ce de façon quasi instantanée. En quelques minutes, le barrage de Grand Maison en France est ainsi capable de produire l’équivalent en puissance de deux réacteurs nucléaires ! Enfin, l’hydroélectricité est une énergie durable et rentable : même si le coût d’un barrage peut paraître élevé, le rapport entre la production d’électricité et l’investissement initial reste relativement faible, avec un coût d’exploitation minimal. Il faut aussi noter que le rendement de l’hydraulique est exceptionnel, généralement supérieur à 90 % « from water to wire » comme nous avons coutume de dire, ce qui va bien au-delà des autres sources d’énergie. »
Quelles sont les caractéristiques du marché de l’hydroélectricité dans le monde ?
J.-P.K. : « L’hydroélectricité représente 16 % de la production d’énergie dans le monde. Il reste un énorme potentiel de développement pour cette énergie. En Europe, il reste 47 % de potentiel à exploiter, 61 % en Amérique du Nord, 72 % en Amérique latine, 80 % en Asie et 92 % en Afrique.
L’autre particularité du marché est l’utilisation d’un bien commun comme matière première, ce qui pose la question du management de l’eau pour faire face aux usages multiples cette ressource. Sur les 45 000 grands barrages dans le monde, seuls 25 % sont utilisés pour produire de l’électricité. Les 75 % restants servent à l’irrigation, à l’approvisionnement en eau potable… Les autres usages – tourisme, pêche, aquaculture ou biodiversité – sont tout aussi essentiels, et minimisent les impacts sociétaux et environnementaux des barrages. Cette particularité se traduit par un enjeu du pouvoir public et agit sur la forme juridique que prend la gestion de l’eau dans les pays. En France, nous sommes sous le régime des concessions et des autorisations.
Cela implique une attitude favorisant une attention et des actions respectueuses et responsables autour du développement durable des territoires dans lesquels l’ouvrage de production s’inscrit. »
Quelle est la place de l’hydraulique au sein de l’activité d’EDF ?
J.-P.K. : « Notre parc hydraulique nous permet de maîtriser notre réseau énergétique, en complément de notre parc nucléaire. Il permet également de répondre aux fluctuations de la demande. L’hydraulique représente en moyenne annuelle 9,5 % de notre production d’électricité en France métropolitaine, soit 43 TWh (43 milliards de kilowatts par heure) de potentiel de production. Il est à noter que les plus petits ouvrages de production hydroélectrique bénéficient de conditions particulières d’achat afin de favoriser la production « verte ». Nous avons donc une responsabilité particulière vis-à-vis de ce bien commun qu’est l’eau et contribuons fortement à la vie des territoires qu’elle irrigue. »
EDF était le concessionnaire « historique » en France, mais le marché s’ouvre de plus en plus à la concurrence… Quels sont les atouts du groupe face aux autres concessionnaires ?
J.-P.K. : « Nous comptons bien démontrer que ce sont justement les nombreuses années d’expérience que nous avons accumulées qui font notre force. Nos équipes ont développé un niveau de technicité très élevé sur l’ensemble de la chaîne de production, de la conception à l’exploitation, en passant par la construction. Nous avons également une connaissance « historique » de la météorologie, fondamentale pour optimiser un parc. Les prévisions hydro/météo sont en effet très importantes dans notre domaine d’activité. Être concessionnaire d’un barrage, cela signifie aussi savoir réagir à divers phénomènes. Lorsqu’une crue survient par exemple, il est nécessaire d’avoir les bonnes connaissances pour savoir s’il faut l’écrêter, ou la laisser passer et accomplir sa fonction de nettoyage du cours d’eau concerné, tout en assurant la sûreté des populations et des biens… »
Êtes-vous présents à l’international ?
J.-P.K. : « Nous produisons de l’hydroélectricité en Suisse, en Italie, sur le Rhin, en Belgique et au Laos. Nous avons chaque année une cinquantaine de contrats d’étude, de réalisation et de réhabilitation d’ouvrages dans plus de 30 pays. Nous allons poursuivre ce développement car le marché est énorme. Les pays qui choisissent de travailler avec nous savent que nous gérons avec sérieux et responsabilité cette ressource très particulière qu’est l’eau. Là encore, notre expérience joue en notre faveur. En France, où nous stockons 75 % des réserves artificielles de surface, nous avons toujours su concilier au mieux nos objectifs de production avec les besoins des autres usages de l’eau. »
Un projet de construction de barrage provoque toujours des craintes quant aux impacts environnementaux que celui-ci a forcément. Quelle est la position en la matière ?
J.-P.K. : « Nous avons toujours été attentifs, en lien avec les Institutions Financières Internationales, à minimiser l’impact de notre activité, et nous le sommes encore plus aujourd’hui. Rappelons tout d’abord que tout chantier implique nécessairement des études d’impact et une concertation longue avec les populations locales et leurs représentants. Plusieurs de nos centrales intègrent des ouvrages de franchissement pour les poissons, des grilles de récupération des déchets avec parfois la possibilité de recycler le bois flotté. Par ailleurs, une centaine d’experts en hydrologie, sédimentologie, pollution des rivières, biologie aquatique… surveille de près les phénomènes liés à notre activité au sein de notre Laboratoire National d’Hydraulique et d’Environnement (LNHE).
À l’étranger, l’exemple de Nam-Theun 2, le grand ouvrage que nous avons mis en service au Laos en 2010, est édifiant. Ce barrage mesure 39 m de haut et possède un réservoir de 450 km2. Afin d’empêcher l’eutrophisation de l’eau, un phénomène courant de décomposition de la biomasse autour des barrages des régions tropicales ce qui entraîne un manque d’oxygène dangereuse pour l’écosystème, nous avons conçu des vannes dont la forme spécifique permet de réoxygéner l’eau. Nous avons même recrée un dispositif simulant une cascade avec l’Institut Polytechnique de Lausanne, toujours dans cette optique de ré-oxygénation. Des ONG reconnues comme CARE, WCS… nous ont accompagné depuis les débuts du projet et nous ont conseillé sur la mise en place de nombreuses actions en faveur de l’environnement. Nous reversons enfin un million de dollars par année de concession pour la protection et le développement du parc national constitué par les 4 000 km2 du bassin versant du barrage. »