L’inflation devrait refluer sensiblement en Europe à partir du mois de septembre. Faudra-t-il alors anticiper un retour rapide et durable à la situation qui prévalait avant la pandémie ? Probablement pas.
Source : par Frédéric Leroux, Responsable Équipe Cross Asset et gérant, Carmignac

Après avoir été nié puis minimisé puis considéré sans avenir, le retour de l’inflation est désormais une réalité qui s’impose à tous. Les valorisations des produits indexés sur l’inflation nous indiquent un retour de la hausse des prix vers 2,0 – 2,5% dans les 18 mois mais une alternative plus durable est crédible.

Cette possibilité se fonde sur l’analyse de tendances à long terme en matière de démographie, de commerce mondial ou de prix dans le commerce en ligne. Après avoir nourri la désinflation des décennies passées, ces tendances longues montrent aujourd’hui des signes tangibles de retournement. La volonté populaire de remplacer la pure efficacité économique par plus d’éthique dans l’économie vient conforter cette possibilité d’une inflation tendancielle bien partie pour durer, avec ses hauts et ses bas. Et, comme le montrent clairement les Etats-Unis, pour la première fois depuis des décennies, les salaires participent à l’inflation et renforcent ainsi son caractère potentiellement durable. Les salaires avaient été mis sous l’éteignoir durant une très longue période, ils en sont brutalement sortis et ne devraient pas y retourner de sitôt.

Croire que l’on peut refouler cette inflation sans casse majeure est certainement une illusion compte tenu des forces structurelles qui lui redonnent vie. Ainsi, il semble nécessaire de troquer notre logiciel désinflationniste pour une solution plus adaptée aux conditions nouvelles qui s’installent malgré nous : une reprise des rémunérations réduisant la chute des revenus réels, une réindustrialisation pour réduire les dépendances énergétiques et industrielles, une conciliation entre éthique et efficacité économiques pour ne pas ajouter aux pressions inflationnistes externes. Puisse le reflux des prix attendu dans les prochains mois ne pas nous faire oublier le changement de régime très palpable aujourd’hui.

Réduire la chute des revenus réels des ménages

Aux Etats-Unis, les salaires sont en hausse moyenne de 6% alors que l’inflation semble devoir refluer d’un pic d’inflation local à 8,5%. Ce reflux attendu permet d’envisager une croissance bienvenue des salaires réels outre-Atlantique, où le salarié retrouve une position de négociation favorable.

Mais en Europe, les salaires ne progressent que de 1,5% quand les prix augmentent de près de 7,5%. Si cet écart est en partie comblé par des aides diverses – chèque énergie, «ristourne à la pompe», avant peut-être des chèques alimentaires pour les moins favorisés d’entre nous -, ces solutions ne peuvent être que temporaires. Elles augmentent la dépendance des ménages à l’égard de l’Etat, elles empêchent les ajustements naturels en masquant la réalité des prix.
Ne pas permettre aux revenus des ménages de réduire en partie au moins l’écart avec l’inflation c’est se garantir de faire descendre les populations européennes dans la rue. Le sujet devrait être rapidement préempté par les gouvernements, qui doivent faciliter les hausses de salaires par les entreprises. Après tout, la croissance nominale peut avoir la vertu, dans une certaine mesure, de résorber l’endettement rapporté au PIB. Rester dans notre gestion désinflationniste des décennies passées condamnerait à une récession profonde qui risquerait fort de ne pas conduire à une stabilisation durable des prix – dont les causes sont surtout externes – et de creuser la dette. Triple peine !

Une réindustrialisation de l’Europe

Ensuite, il faut pour l’Europe traiter ses dépendances, industrielle, militaire et énergétique que le Covid-19 et la guerre en Ukraine ont brutalement révélées. La nécessité induite de relocalisation fournit une opportunité de réindustrialiser les pays européens où cela s’avère nécessaire. La France est un candidat évident, d’autant que son outil nucléaire lui fournit un avantage compétitif majeur, surtout s’il est modernisé et développé. Prétendre devenir ou rester une nation industrielle sans maîtriser son approvisionnement énergétique n’est plus une option. Il va y avoir des places à prendre.

Les emplois industriels sont bien payés grâce aux qualifications requises et à la productivité croissante des entreprises industrielles. Les petits boulots des activités de services comme la livraison à domicile ont leur incontestable vertu mais montrent aussi leurs limites. L’environnement inflationniste justifie plus que jamais de réaliser d’importants efforts de productivité, que permet une industrie moderne.

La réindustrialisation pourrait constituer une raison de réorienter l’épargne des ménages vers des actifs qui alignent leurs intérêts sur ceux de l’Etat car potentiellement profitables même en ambiance inflationniste. Ceci constituerait un grand changement par rapport à ces dix dernières années où la répression financière conduisait les épargnants à financer la dette publique contre une rémunération négative.

Favoriser simultanément la participation des salariés aux résultats de leurs entreprises serait un moyen, complémentaire et vertueux, d’indexer leurs revenus à l’inflation. Plusieurs grandes sociétés viennent d’ailleurs d’annoncer de nouveaux programmes visant à favoriser l’actionnariat salarié. Si ces dispositifs intègrent un minimum d’incitation et de protection, il est possible d’aligner à grande échelle les intérêts des salariés et de leur entreprise, en parallèle de ceux de l’épargnant et de l’Etat, tout en minimisant de façon vertueuse la réduction des revenus réels.

Morale et nécessité d’efficacité

La troisième voie à tracer pour faire de cet épisode possiblement durable d’inflation une expérience économique heureuse est complémentaire des deux autres : chercher à concilier au mieux désir de morale économique et nécessité d’efficacité économique. Pour cela, il y a un esprit économique à retrouver, qui rappelle que le désir d’une économie plus morale ne peut pas longtemps nous abstraire du principe de réalité.
Il en va de la géopolitique comme des contraintes énergétiques. La disponibilité énergétique répond à des facteurs physiques que nous ne pouvons ignorer. L’ingénieur et l’entrepreneur sont-ils suffisamment impliqués dans les décisions politiques relatives au rythme de la transition énergétique ? L’environnement présent montre clairement que le rythme choisi est trop rapide, qu’il contribue à l’inflation et crée un risque d’inadéquation entre l’offre et la demande d’énergie. Ne faut-il pas relancer l’exploration pétrolière et gazière dans des conditions et des géographies qui œuvrent pour notre avenir et celui de notre descendance ?

Si le principe de réalité orientait de nouveau les décisions politiques et économiques les plus «impactantes», la période actuelle pourrait devenir propice, avec un peu d’imagination et d’audace à l’entrée dans une période de prospérité plus largement partagée. La période qui s’ouvre peut avoir en effet quelques similitudes avec nos chères Trente Glorieuses qui se sont développées entre 1950 et 1980 dans un environnement tendanciellement inflationniste.

Ces trois décennies magiques correspondent à des années de reconstruction qui ont permis l’avènement d’une classe moyenne nombreuse. Le traitement de nos trois dépendances révélées par la pandémie et la guerre en Ukraine impose lui aussi une forme de reconstruction par la réindustrialisation. Quant à la classe moyenne souvent abîmée par les tendances déflationnistes structurelles des années passées, l’opportunité est là, entre mesures salariales, actionnariat salarié et dispositifs d’épargne créatifs vertueux de lui redonner un statut plus enviable, capable de recréer une dynamique économique positive que la longue période de rigueur salariale, d’inflation trop basse et de taux d’intérêt négatifs avait profondément sclérosée.

Le très probable changement de régime sur le front de l’inflation rend la tâche des gestionnaires de fonds complexe. Mais le retour de l’inflation, c’est aussi le retour du cycle économique après une parenthèse de 12 ans pendant laquelle la gestion active avait perdu sa boussole. La cyclicité et sa symétrie vont permettre les alternances de surperformance entre actions et obligations, entre les valeurs de croissance et les valeurs cycliques, les emprunts privés et la dette publique, le dollar et l’or.

Le temps plus changeant qui s’annonce va rendre à la gestion active, par la possibilité qu’elle se donne d’identifier rapidement les inflexions du cycle économique, ses lettres de noblesse. A nous maintenant de faire oublier les ETF généralistes et toutes ces gestions passives qui ont gagné les faveurs des épargnants au cours de la longue période acyclique qui s’achève.

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